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belge était anéantie, on le croyait par delà le Rhin, et lors de la capitulation d’Anvers, les cloches sonnèrent à toute volée en Germanie et on y fêtait. Et voila que cette même armée, qui disputa fièrement l’entrée du pays à la soldatesque allemande, s’opposait maintenant à la sortie… brouillait les plans de la grande puissance et sacrifiait sans décompter son sang précieux pour la victoire du Droit, de l’Honneur et de la Liberté.

Le roi Albert était à nouveau parmi ses soldats et restait plus que jamais fidèle à sa parole sacrée, prononcée à Bruxelles, symbolisant le Devoir et faisant face au danger.

Et la reine Élisabeth, d’autre part, s’était encore une fois séparée de ses enfants pour continuer son œuvre consolatrice dans le dernier recoin de son pays, en y soignant les blessés. Elle souffrait cruellement de ce que les blessés devaient endurer de si atroces douleurs, et elle travaillait fébrilement à l’organisation d’une ambulance-modèle.

Pendant les premiers jours, on ne pouvait hélas, soigner les blessés ainsi qu’il convenait. En sa retraite hâtive, l’armée était contrainte à livrer un combat acharné… elle cessa soudain cette retraite pour résister encore une fois héroïquement au puissant ennemi ; elle se retrancha à l’Yser et lutta en un effort surhumain.

C’est dans le couvent de Pervyse que les blessés reçurent les premiers soins.

Les médecins et leurs assistants y travaillaient fébrilement pour atténuer les douleurs, soigner les blessures et sauver les vies.

Et le cloître avec la vieille église à la fière tour tremblait au bruit du canon, qui tonnait sans trêve sur le pays de Furnes.



VI.

Le Bombardement de Dixmude.


— Fuyons, papa ! implorait Berthe Lievens.

Les fenêtres tremblaient.

Les Belges défendraient la petite ville contre les hordes allemandes. Des fuyards d’Eessen, de Keiem, de Beerst, chargés comme des mulets, couraient éperdus par les rues de Dixmude.

La jeune fille se trouvait devant son père, qui ne voulait pas abandonner sa maison et ses trésors.

— Pars avec Pélagie, dit Mr. Lievens. Fuis à Furnes. Moi, je ne puis me résoudre à quitter ma maison, et il n’est d’ailleurs nullement certain que les Allemands prendront la ville. Les Belges se battent comme des lions. Mais fuis avec Pélagie.

— Non, papa… je ne partirai pas sans toi ! C’est impossible.

— Si c’est nécessaire, je te rejoindrai.

— Et si c’est trop tard, alors ?

— Tu es trop pessimiste…

— Ma vie n’est-elle pas plus chère que tes antiquités, papa ?

C’est apeurée que Berthe s’exclama de la sorte.

— Quelle question, mon enfant.

— Excuse-moi, papa, mes idées s’embrouillent. Écoute donc, écoute, c’est terrible…

Le bombardement devenait plus intense et la maison était secouée en ses fondations.

— Ils vont bombarder la ville, reprit Berthe.

— Fuis avec Pélagie… les hommes peuvent encore rester.

— Non, papa…

La servante entra en coup de vent, criant :

— Ils bombardent Dixmude !

— Tu entends, papa ! Oh, fuyons ! implora de nouveau la jeune fille. Ses yeux trahissaient sa crainte et elle levait les mains implorantes.

— Papa, rappelle-toi ce que tu as promis à Paul, disait-elle d’une voix vibrante. Le danger est là maintenant… Fuyons papa, fuyons… il est temps !

— Ils bombardent la ville, répéta Pélagie.

— Mais est-ce bien vrai… vous êtes toutes deux folles de peur, dit M. Lievens. Je vais m’en rendre compte.

— Non, papa, non…

Berthe s’agrippa à son bras.

— Oh, si tu étais touché ! cria-t-elle en pleurant.

— Ne sois donc pas si nerveuse, mon enfant.

C’est maintenant surtout qu’il convient d’être calme. Les bombes ne tombent pas comme des grelons.

Lievens sortit de la chambre, mais à peine eut-il fait quelques pas dehors, qu’il rentra à la hâte et cria en son premier mouvement de terreur :

— C’est vrai… Ils bombardent Dixmude, les barbares, une ville ouverte… Vite, à la cave !

— Fuyons, papa !

— Maintenant, mais ce serait courir à la mort… Viens à la cave, nous y sommes à l’abri… Nulle bombe pourra y pénétrer…

Ainsi que la plupart des habitants, ils cherchèrent un abri sous terre. C’était une spacieuse et massive cave, dont la voûte reposait sur des colonnes en grès. Elle datait d’il y a des siècles et l’antiquaire en était fier. Il se plaisait à la comparer aux boîtes à carton de nos jours, tel qu’il dénommait narquoisement nos habitations modernes.