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lées ! Questionnez donc les fuyards de Louvain et d’Aerschot) il y en a ici, ils vous parleront des cruautés de l’ennemi.

— Mais on ne se bat pas encore ici…

— Ce sera peut-être demain… Et notre armée n’est pas à même de résister longtemps… Que ferez-vous alors, M. Lievens ?

— Voudriez-vous alors que je quitte ma maison, séance tenace ?

— Au plus tard, demain avant midi.

— Non, je puis pas encore m’y résoudre… Je suis indécis. Mais que Berthe aille à Furnes avec Pélagie…

— Je ne partirai pas, si vous ne m’accompagnez, dit Berthe décidée.

Elle lut une prière dans les yeux de Paul…

— Non, Paul, continua-t-elle, je ne puis laisser papa seul. Et quelle vie mènerai-je d’ailleurs ! Je serais sans cesse inquiète sur son sort… Mais que papa se décide à partir demain…

— Je ne puis prendre une décision en ce moment, mais demain matin… Je te promets Paul que je serai prudent, et surtout pour Berthe ; mais je ne puis agir précipitamment. Tu es donc à Pervyse ?

C’était une question pour faire dévier la conversation. Paul le comprit.

— Oui, à Pervyse, répondit-il. Nous tiendrons probablement l’Yser comme ligne de défense. Mais je doute pourtant que nous puissions nous y tenir, car nos hommes sont harassés de fatigue après cette retraite précipitée.

— Pourquoi les Français ne sont-ils pas ici ?

— Oui, pourquoi ? Pourquoi ne furent-ils pas dans la Belgique méridionale ? Pourquoi opérèrent-ils une si brusque retraite en août ? Ils n’étaient pas prêts… Ils devaient abriter Dunkerque…

Soudain Berthe éclata en sanglots…

— Qu’y a-t-il ? demanda Paul tendrement…

— Oh ! c’est affreux, avoir à peine ces dernières batailles derrière soi et devoir recommencer la lutte le lendemain. Le danger n’est donc nullement écarté… Oh, que je les hais, ces Allemands ! Quelle vilenie, quelle bassesse, quelle lâcheté, de troubler ainsi notre bonheur, d’exterminer ainsi notre peuple !

— Allons, Berthe, sois forte. Tu en as fait preuve jusqu’à ce jour et tes lettres me consolaient toujours… Ne perd pas courage !…

— Te voilà à peine quelques heures parmi nous et tu dois déjà t’en aller… à la bataille… Et pour combien de temps ? C’est cruel, c’est affreux… Je n’ai jamais ressenti les affres de la guerre comme à présent…

M. Lievens comprit qu’il devait laisser seuls les fiancés, et il quitta la chambre.

Paul attira alors Berthe à lui, l’embrassa et lui dit des paroles douces et consolatrices.

— Oui, pleure une bonne fois, dit-il doucement. Cela te soulagera… Les larmes allègent le cœur… Mais aie foi, Berthe. Je suis soldat et je dois faire mon devoir, mais cela ns m’empêchera pas de prier Dieu qu’il nous protège…

— Je suis si appeurée, Paul… Il y en a déjà tant qui sont tombés… Oh, ces lâches qui anéantissent un petit peuple, qui ne leur fit jamais le moindre tort.

— Oui, c’est une lâcheté…

— Plonger ainsi dans le malheur, uns multitude de parents, d’épouses, de jeunes filles, d’enfants… Oh, que Dieu les punisse !

— Nous avons pour nous le Droit, Berthe ! Quoique l’avenir nous parait sombre, ayons courage… Je ne sais pas, Berthe, si je te verrai encore avant la bataille qui se prépare…

— Paul !…

— Faisons face au danger ! Bannissons la crainte ! Et si tu fuis avec papa, informe-moi immédiatement où tu es…

— Oui, Paul…

— Je t’enverrai souvent des nouvelles. Actuellement nous pataugeons dans l’incertain… Notre armée est courageuse, mais elle est harassée de fatigue. Les Allemands approchent… et nous ignorons de quelle façon. Nous attendons du secours de la France et de l’Angleterre. Si on nous attaque, espérons que nous puissions résister jusqu’à ce que les secours nous soient arrivés. Nous ne serons pas coupés…

Verhoef encourageait ainsi sa fiancée.

On sonna et M. Lievens ainsi qu’Antoine Deraedt entrèrent.

Deraedt était allé rendre visite à ses parents et, ainsi que convenu, il venait maintenant chercher son lieutenant.

— Voilà le soldat qui me sauva la vie, à Waelhem, dit Verhoef.

Berthe reçut cordialement le militaire.

Son apparition fut pourtant le signal du départ,