Ô, je les vois tous, ces gentils villages d’Avelghem, de Vinckem au château-fort, d’Elverdinge, de Brielen, et je pleure en songeant au sort qui leur est réservé.
Verhoef était également sous cette impression.
Quelle responsabilité qu’endossait l’Allemagne !
Le lieutenant atteignit Dixmude.
La petite ville était parsemée de petits groupes de personnes commentant vivement les événements. Ils le regardaient, d’autres reconnaissant le fiancé de Berthe Lievens, lui adressaient un salut sympathique.
Verhoef hâta le pas… Il ne s’agissait de s’attarder avec des connaissances et à faire la causette… son temps était limité et son cœur aspirait à voir sa fiancée.
Arrivé devant la maison, il fit résonner la lourde sonnette.
La servante ouvrit.
— Jésus-Marie ! qui voilà ! s’exclama-t-elle. Monsieur Paul… Et Berthe qui s’est déjà rendue à deux reprises à Ostende et qui est si inquiète…
Mais Berthe avait entendu l’exclamation et accourait en criant :
— Paul ! Paul !
Quelle rencontre ! La jeune fille riait et pleurait de joie. Toute énervée elle ne cessait de raconter, expliquait son espoir et sa crainte, narrait ses voyages à Ostende, ses recherches et ses questions et dit sa déception.
Entrant dans la cuisine intime, Verhoef ressentit une vive impression en y trouvant Mr. Lievens, qui le reçut cordialement… et des larmes lui jaillirent des yeux.
Oh ! Quel contraste en se trouvant soudain dans cette calme et douce intimité du foyer, qu’on n’appréciait pas tel qu’il convient ; après toutes ces scènes cruelles de blessés et de mourants, de lutte acharnée parmi le roulement du canon, les crépitations des fusils et des mitrailleuses, le cliquetis des armes blanches… après avoir erré et rôdé ; après avoir passé des nuits dans des granges, dans des auberges et sous les tentes.
Verhoef était émotionné.
Il se trouvait maintenant entre sa fiancée et son père. Les charmes de la jeune fille, sa voix harmonieuse, ses yeux veloutés, le séduisaient davantage… le charme qui se dégageait de cette intimité, de ces anciens meubles agréablement nuancés, de ces cuivres antiques, de ces tableaux qui ornaient les murs, tout cela le transportait en un petit Eden, dont depuis longtemps il ne goûtait plus les délices.
Les questions se succédaient sans interruption et le temps était précieux.
— Sachez qu’on va se battre ici, dit Verhoef.
— Oui, mais les Belges ont terminé leur campagne, n’est-ce pas, dit Berthe.
— Les Belges ? Nullement. Qui donc se battrait en ces lieux si ce n’étaient eux ? Y a-t-il des Français en cet endroit ?
— Non, mais ils viendront.
— Admettons, mais ils n’y sont pas encore. Si les Allemands avancent, nous Belges, nous devons les arrêter. Inutile d’ailleurs de vous laisser ignorants de la situation, et la bataille promet d’être plus vive que celles qu’on a livrées jusqu’à ce jour. Et comme conseil, fuyez sans tarder.
— Fuir ! répéta M. Lievens, tout éperdu.
— Oui…
— Déjà…
— Si les Allemands arrivent demain, nous sommes contraints de nous replier. Nous ferons tout notre devoir, mais il ne faut pas perdre de vue que nous nous trouvons en présence d’un ennemi bien supérieur en nombre. Et puis ? Je vous engage encore une fois à ne pas attendre jusqu’à ce qu’il soit trop tard ! J’ai vu des civils se sauvant sous une grêle de balles et c’est affreux… Ne vous fiez nullement aux Allemands ! Nous connaissons leur cruauté…
— Mais fuir, répéta Mr. Lievens.
Quitter sa maison, toutes ses antiquités, rassemblées avec tant de patience, faire fi de sa fierté, de son bonheur…, abandonner le tout… non il ne pouvait s’astreindre à ce sacrifice.
— Que Berthe aille à Furnes, dit-il. Mais moi je reste.
— Et moi, je ne vous quitterai pas, papa. Nous fuirons ensemble, ou nous resterons.
— Que vous êtes imprudent, M. Lievens ! reprit Verhoef énervé. Si vous aviez vu ce que j’ai vu, et que vous aviez entendu ainsi que moi…
— Mais enfin, personne ne songe à fuir ici, en ce moment du moins, et moi, je serais le premier !…
— En attendant trop longtemps, de nombreuses personnes ont été tuées, blessées ou fusil-