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Quel sera l’aspect de ces riantes régions, lorsque nous aurons enfin la paix ?…

Et tout ému, je cite Ypres, une ville morte mais si jolie, où tout le monde s’arrête en extase devant ses superbes et majestueuses halles. Une bombe pourtant suffirait… Oh ! pourvu que cela ne soit pas, que ces fières halles et le massif beffroi ne soient pas victimes de l’ouragan de fer, qui s’abat sur nos contrées. Et à côté de ces halles, qui témoignent de l’art flamand, du goût pour le commerce et les libertés civiques, se dresse le temple de St Martin, la plus belle église en style gothique de toute la Belgique.

On connaît l’expression : La mort d’Ypres. Au moyen-âge, Ypres était une ville malsaine et quoique les édiles firent tout ce qui fut humainement possible pour y remédier, en établissant même un réseau d’égoûts extraordinairement étendu, de sorte qu’on disait communément : Ypres est bâtie sur du plomb, des maladies contagieuses fauchèrent à plusieurs reprises des milliers d’habitants. Un tableau des halles représente La peste à Ypres. Un pestiféré tenant en mains un cruchon d’eau, une hache et une crécelle prêt à quitter la ville, se trouve à l’avant plan. Il est la personnification de La mort d’Ypres.

Et à nouveau la mort souffle sur Ypres, quoique la civilisation ait pu parer la peste et d’autres fléaux… Le 20me siècle, nous apporte une calamité encore plus terrible.

Sur la route de Roulers à Bruges, non loin d’Ypres, se trouve le gentil petit village de West-Roosebeke.

Un moulin s’élève sur la colline et il date de 1382 ! Comment se porterait l’aimable meunier, qui me montra dernièrement les champs par les interstices, et me renseigna où fut livrée la bataille de 1382. Il était si heureux, si satisfait de sa petite vie modeste, qu’il n’aurait voulu l’échanger qu’à prix d’or.

Et la guerre maintenant, épargnera-t-elle ce vieux moulin, qui résista durant des siècles à toutes les intempéries ? On causait histoire à ce moment, mais nous n’étions nullement guerroyeurs. Nous ne désirions nul accroissement de territoire, nous étions heureux de notre sort.

Et cette fois, cette contrée harmonieusement ondulée, parsemée de fiers arbres aux ramifications voluptueuses et touffues, tremble sous le tonnerre de l’artillerie en action, qui sème la mort et la destruction.

Langemarck, Hooglede, Gits, Vladsloo ! où êtes-vous riants villages ? Redressez-vous de vos ruines, on vous pleure, on vous appelle.

Oh, régions poétiques, aux paisibles villageois, au langage simple et cordial, à la riche histoire, aux beaux champs, aux fraîches prairies, aux ruisseaux clapotants… aux multiples tourelles, clochers et beffrois…

Je pleure en songeant à votre sort…

Et je le répète avec vous, chers concitoyens, éprouvés par cette guerre cruelle : « Qui eut jamais osé y songer ? »

En ce moment m’apparaît la tour St. Michel à Roulers et son cimetière, où repose actuellement le grand Rodenbach. Je vois la région du Mandel, choyée par Gezelle, dont la petite rivière clapote parmi les saules. Tout dernièrement nous y fêtèrent la commémoration de Rodenbach. « Gudrun » nous parla de l’énergie et de l’aspiration à la liberté du peuple et, malédiction, on se bat actuellement, à la vie, à la mort dans son pays.

Je vois Thorhout et le majestueux château comtal de Wijnendale, ainsi que l’ancien « Vrijbosch » je me transporte en songe le long de l’Yser aux environs de Dixmude, qui forme un contraste si pittoresque avec les immenses prairies des Métiers de Furnes.

Et de toutes parts s’élèvent de hautes et fières tours, dont les cloches résonnent rythmées, sous l’impulsion d’hommes sensibles. C’était là la voix de la paix de ce temps…

Actuellement nous sommes en pleine guerre…

Je franchis le pont à Nieuport et je longe les vieilles petites maisons, jusqu’à la grande église près du « Duivelstoren », que nous espérons considérer comme un souvenir de la guerre, parce que l’église y adjacente avait été détruite par nécessité militaire… Mais le « Duivelstoren » tremble et frémit au bruit de l’airain.

Lorsqu’on posait les fondations d’une villa dans les dunes, on buttait sur des ossements, des sabres, des lanières… derniers vestiges de 1600, lors de la campagne hispano-hollandaise à Nieuport. Et c’était poétique et même romanesque de se remémorer comment Maurice de Nassau, descendit de son cheval et s’agenouilla pour prier Dieu, le soir à la veille de la bataille.

Mais un poignant réalisme a détruit toute poésie et tout romantisme.

Que vous êtes restés superbes : Coxyde, Oostkerke, Avecapelle et tant d’autres villages, de noble origine et de vie modeste, qui gisez actuellement sous les ruines !

Que de petites maisons bâties dans les dunes, furent ensevelies par les puissants et frivoles orages et à nouveau dégagées quelques siècles plus tard. Qu’on se rappelle les derniers vestiges trouvés de l’Abbaye des Dunes aux 150 fenêtres, aux fermes immenses et dont on admirait à Bogaerde quelques granges, mais qui, furent également anéanties il y a longtemps par le fléau de la guerre.

Et voilà que m’apparaît Furnes, avec son beffroi svelte, sa tour élancée et sa haute église de Ste Walburge.

J’y ai vu passer par les rues, l’originale et bizarre procession des pénitenciers ; cortège mystérieux, exhibition de la Passion ; les archi-prêtres aux longues barbes, les prophètes et les anges psalmodiant en un rythme puissant des cantiques saints et les pénitenciers de la bure vêtus, la tête encapuchonnée ; les pécheurs chargés de lourdes croix.

Et de ce cortège moyenâgeux ne sort qu’un seul cri : « Ayez pitié de nous ».

Ainsi, de ces jours, à Furnes, on implorera également : Seigneur ayez pitié de nous ! Et de la guerre, délivrez-nous, Seigneur.