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On mit le feu à cet immense bûcher. Ce fut un feu d’artifice comme oncques ne vit, lorsque les flammes sortirent de la toiture et de la haute tour, c’était sinistre mais grandiose.

Les flammes montaient toujours léchant les arêtes et soudain la tour et le toit s’effondrèrent avec un fracas épouvantable, une pluie d’étincelles jaillit de toutes parts, des poutres tombaient lourdement, les murs se lézardaient et vacillaient.

C’étaient des heures terribles et cruelles pour les habitants.

Le lieutenant Verhoef vit également ces flammes en allant de Pervyse à Dixmude. Il profitait de quelques heures de congé pour se rendre dare-dare chez sa fiancée.

Il était pénétré de joie mais celle-ci était sophistiquée par la tristesse ambiante.

Le sort d’Anvers lui était connu maintenant : la dernière forteresse avait cédé et l’armée était en retraite, à l’exception de quelque 30.000 hommes environ, qui se laissèrent interner en Hollande, plutôt que de se constituer prisonniers à l’ennemi.

Anvers avait capitulé… Verhoef se rappela les événements.

Lors de l’entrée des Allemands à Bruxelles, le roi Albert se retira sur la forteresse d’Anvers, qui, à part celles de Paris et de Metz, pouvait être considérée comme étant une des plus fortes de l’univers.

À l’intérieur du deuxième cordon de forts, de vastes terrains étaient minés et la forteresse était considérée comme pouvant résister à toutes les tentatives. L’état-major allemand sembla partager tout un temps cet avis et ne commença le siège que lorsqu’il disposa d’un plus grand nombre de moyens.

Les Allemands, ayantes compté d’entrer bientôt à Paris en triomphateurs, n’avaient nullement envisagé la possibilité de devoir faire une retraite éventuelle par la Belgique. Après la défaite de la Marne ils furent persuadés qu’ils devaient prendre Anvers à tout prix pour donner une plus grande liberté d’action à l’aile droite de leur armée au cas où ils devraient rebrousser chemin sur une plus grande échelle. Et à ces facteurs vinrent se joindre les multiples sorties de l’armée belge, qui irritèrent l’ennemi qui comprenait parfaitement que ces sorties auraient un caractère capital, si les Alliés parvenaient à étendre leur front davantage et à gagner contact avec l’armée belge, pivotant sur Anvers.

La métropole belge devait donc être conquise à tout prix.

Le sort de Liège et de Namur a démontré que nulle forteresse ne peut résister à l’artillerie de siège de Krupp. Quinze jours avant le siège, les Allemands établissaient déjà un sous-terrain en béton armé pour la pose de leurs gigantesques mortiers. Vers la fin septembre, les Allemands réunirent suffisamment de troupes devant l’armée belge et une quantité considérable de canons pour détruire les forts Brialmont. On estimait les forces tudesques à 125.000 hommes.

Ainsi qu’ils avaient procédé à Liège et à Namur ils concentrèrent leur feu sur un seul secteur des travaux de défense, de sorte que la résistance en fut rendue très difficile et incertaine. Les Allemands avaient coupé la principale conduite d’eau. Les conséquences auraient été désastreuses pour la population anversoise si le génie n’était pas intervenu à temps.

Le jeudi, les plus courageux songèrent déjà à capituler pour épargner un bombardement à la ville, mais il n’y a qu’une seule devise pour le commandant d’une forteresse : c’est de se battre jusqu’à épuisement total des munitions et résister jusqu’au bout à l’ennemi.

Attaquant du Sud-Est, les Allemands lancèrent une telle avalanche de grenades et d’obus sur la première ligne de défense, qu’oncques ne vit jamais.

La garnison se battit pendant quelques jours avec désespoir pour empêcher l’ennemi de franchir l’Escaut d’un côté.

Mais les Allemands luttaient avec une ténacité croissante, soutenus par le génie, qui franchit le fleuve à la nage sous une grêle de balles, pour établir un ponton.

Dès que la Nèthe fut franchie, les assiégeants se trouvèrent devant le 2me cordon de défense, mais de plus faible résistance, et, dès lors, ils purent commencer le bombardement de la ville.

Ce fut le mercredi 7 octobre que les Allemands commencèrent leur œuvre de destruction au moyen de quelques 200 canons. Une pluie de projectiles s’abattit sur Anvers, jusqu’à ce que le sud de la ville fut totalement en flammes et que la réverbération en fut visible à plusieurs milles à la ronde.

Des tanks à pétrole, l’huile se répandit en aval de l’Escaut jusqu’au ponton. Des rues entières furent détruites. On n’entendait que les cris des fuyards et l’explosion des obus. Une foule de personnes s’enfuirent ainsi vers la Hollande et Ostende. Les derniers bateaux étaient partis pour l’Angleterre. De nombreux navires allemands, parmi lesquels de très coûteux, se trouvant dans le port furent endommagés ou coulés, et la courageuse armée belge ne quitta la forteresse qu’après une lutte acharnée.

Les Allemands n’avaient donc pas réussi à réaliser leur dessein principal, l’encerclement de l’armée belge. Ainsi que nous l’avons dit, l’armée belge commença l’évacuation d’Anvers le 8 octobre. Le vendredi 9 elle opérait une habile retraite vers l’ouest, après avoir infligé de lourdes pertes à l’ennemi.

Le lieutenant Verhoef regarda à nouveau ces flammes, symbole de la guerre… Les Allemands étaient autour d’Ypres. Ils marchaient vers la mer… et la guerre allait ravager notre dernier lopin de terre.

Verhoef frissonna en songeant à la destruction imminente.

Nous eûmes d’ailleurs tous cette sensation. En ces jours mémorables, j’écrivis :