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Verhoef était à son poste… tel qu’il convenait à un homme conscient de son devoir.

Et il avait en ce moment la sensation qu’il protégeait Dixmude… qu’il protégeait sa fiancée… sa Berthe, qui pensait à lui et qui priait pour son prompt retour.

La nuit fut calme.

Au matin on vit les fuyards. Ils racontaient que les Allemands pénétraient davantage en Flandre.

On n’enregistrait pourtant aucune nouvelle positive… Les uns prétendaient qu’Anvers résistait, d’autres que les Allemands étaient entrés à Bruges.

De nouveaux régiments arrivèrent.

Paul Verhoef dut lever le camp avec ses hommes. Il partait maintenant pour la vallée de l’Yser. Un ordre arriva : À Pervyse…

Et soudain une grande joie emplit l’âme du lieutenant.

Il allait à Pervyse, près de Dixmude, chez sa Berthe. Il la verrait enfin, il pourrait l’embrasser, lui parler…

Il fit ses plans. Si les Belges devaient se replier plus à l’ouest, Berthe devait partir également. Elle ne pouvait pas rester où les Allemands se montraient… et Paul frissonna en songeant aux événements de Louvain et de Termonde.

Berthe et son père devaient fuir en France et ne pas ajouter foi aux promesses et proclamations des hordes affluantes…

Le régiment continua son chemin… On apercevait déjà les toitures aux tuiles rouges de Dixmude encadré d’un tapis vert.

C’était comme si la paix invitait les soldats, et qu’elle émanait de cette calme région, où le bétail paissait dans les prairies, où les cultivateurs vaquaient encore à leurs travaux comme si la guerre n’approchait pas… c’était comme si la paix émanait de l’ancienne forteresse, recoin recherché par les peintres et les amateurs d’antiquités, comme si la paix émanait de ces villages avec leurs églises en nefs tryptiques et leurs hautes tours massives.

Paul Verhoef regardait vers Dixmude…

Il verrait Berthe aujourd’hui. Il lui apportait aide et protection.

— Nous voilà chez nous, lieutenant, dit Antoine Deraedt.

— Oui.

— Et maintenant ?

— Oui, que va-t-il se passer ?

— Se battrait-on ici ?

— Qui le sait ? Nous sommes sans nouvelles…

On passait un pont maintenant.

On était sur l’Yser, la petite rivière, qui prend sa course à Casselberg en France dans le département du Nord et qui décrit une courbe autour des Métiers de Furnes, arrosant maints petits villages prospères, la petite ville de Dixmude, et qui se jette à la mer à Nieuport, où elle est reliée avec d’autres canaux par six écluses disposées en éventail.

Oh ! Que le bruissement des joncs flexibles m’est agréable, se dit Verhoef. Cela me fait l’effet d’une bienvenue dans cette région chérie. Là voilà la tour fidèle de Stuivenskerke où les moulins tournent gaiement et voilà Pervyse.

On avait atteint le but. De nombreuses troupes arrivaient de l’autre côté de l’Yser et d’autres se tenaient encore à l’est du fleuve.



IV.

Une soirée impressionnante


La guerre avait atteint la patrie ouest de la Flandre.

Des troupes étaient arrivées, se trouvaient dans les villages du littoral…, et par delà l’Yser. L’artillerie s’amena également. On n’avait jamais assisté à une telle activité dans cette région d’ordinaire si calme.

On avait beaucoup lu et entendu à propos de la guerre ; mais alors qu’à Liège les canons crachaient la mort, que Louvain et Termonde furent détruits par les flammes, qu’on enterrait les morts dans la Belgique orientale et méridionale et qu’on soignait les blessés à Anvers…, les chars transportaient ici les riches moissons dans les granges.

Elles étaient bondées maintenant, le bétail s’engraissait dans les immenses prairies… et voilà qu’avec ces soldats qui s’amenaient, la guerre allait éprouver ces riches régions.

Les Belges prirent alors les mesures nécessaires.

À Beerst les habitants vécurent de tristes heures.

Depuis vendredi, les Belges emplissaient de paille imbibée de pétrole, presque jusqu’au faîte, la spacieuse église.

Le dimanche ils durent y mettre le feu.

— Citoyens, disaient-ils aux villageois, nous y sommes contraints car les Allemands feraient de la tour un poste d’observation, y placeraient des mitrailleuses et tireraient de ce point sur nos soldats à Dixmude.

Nous ne sommes d’ailleurs qu’à 20 minutes de la ville… Et d’ailleurs ils n’épargneront quand même pas l’église ni la tour.

C’était un grand sacrifice qu’on s’imposait pour la patrie en danger.