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de désespoir. Pour la première fois il douta. L’image des grands suicides antiques lui revint en mémoire. Cela dura ce que dure un éclair. Un mouvement de son cheval lui fit relever la tête. Il aperçut en face de lui les bastions de Pondichéry qui profilaient leurs dures arêtes sur le ciel embrasé, et au-dessus le drapeau, flottant fièrement, tout éclatant de lumière. Les troupes, sentant la protection des canons de la redoute, à l’abri derrière la rivière, se remettaient de leur panique. Il se jura de défendre cette ville qu’on avait confiée à sa loyauté et à son génie ; il se jura de la sauver ou de mourir.

Pondichéry est bâti au bord de la mer, sur la grève, dans une plaine verdoyante et fertile, que les canaux des rizières parsèment de leurs plaques argentées ; çà et là quelques mamelons se dessinent, plus sensibles par le profil des cocotiers qui les recouvrent que par leur relief même. De longues allées ombragées par les rameaux d’arbres touffus partent des remparts et prolongent jusqu’à l’horizon embrasé leur ligne verte ; elles ont la physionomie majestueuse des avenues de Versailles, moins la monotonie des tons, impossible avec la lumière tombant du ciel. La ville, qui n’a point de port, mais une rade ouverte, moins soumise aux coups du ressac que celle de Madras, a comme une barrière naturelle au sud, l’Ariancoupan, petite rivière qui coule de l’ouest vers l’est entre des rives encaissées et hérissées d’arbres, pour s’élargir brusquement dans le voisinage de la place en formant des îles couvertes d’une forêt de cocotiers. Au nord-ouest s’étend un marais terminé par un ruisseau qui, après avoir traversé la ville, porte le tribut de ses eaux à l’embouchure de l’Ariancoupan.