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et personnel je suis quelque chose dans une conscience ou dans la représentation : elles ne me présupposent pas, c’est moi au contraire qui les présuppose : « La conscience et le moi considérés d’une manière générale ne me définissent pas, mais appartiennent séparément à toute représentation claire et complète, car toute représentation a deux faces, le représentatif et le représenté » (Logique, I, 17). — Telle est l’expression littérale de la pensée de M. Renouvier. Cette expression a besoin d’être expliquée : car une méprise serait facile. Si la conscience et le moi ne me définissent pas, c’est évidemment parce qu’ils ne conviennent pas au seul défini prétendu et ont plus d’extension que lui. Ce sont donc des termes généraux. Et en effet ce sont si bien des termes généraux que M. Renouvier ajoute qu’ils conviennent à toute représentation prise séparément, c’est-à-dire prise à part de moi. M. Renouvier estimerait-il donc avec Kant que la pensée n’est la pensée de personne, que, pour parler le langage de Kant, l’aperception pure est, comme les concepts, quelque chose de général, ou, comme certains autres philosophes, qu’il conviendrait de dire non pas « je pense », mais au neutre « il pense », comme on dit « il tonne[1] », ou encore que la conscience avec ses deux pôles est attachée à des phénomènes isolés qui, par leur réunion, constituent des sujets concrets et corrélativement des objets concrets, qu’une conscience individuelle est faite d’atomes de conscience impersonnels en eux-

  1. Allusion à une réflexion célèbre de W. James : « De tous les faits que nous présente la vie intérieure, le premier et le plus concret est sans contredit celui-ci : des états de conscience vont s’avançant et se succédant sans trêve en nous. Pour exprimer ce fait dynamique dans toute sa simplicité, et avec le minimum de postulats, il faudrait pouvoir dire en français « il pense » comme on dit « il pleut » ou « il vente ». Faute de cet excellent barbarisme, il faut nous contenter de dire que « la conscience va et ne cesse pas d’avancer ». »W. James ajoute un peu plus loin que le caractère personnel de la pensée est un fait et sans doute rien de plus. « S’il existe en quelque coin de cette salle une pensée pure qui ne soit la pensée de personne, nous n’avons aucun moyen de nous en assurer, car nous n’avons aucune expérience de quoi que ce soit de semblable. Les seuls états de conscience auxquels nous ayons naturellement affaire appartiennent tous à des consciences personnelles » (Précis de Psychologie. Traduction Baudin et Bertier. 5e édition, Paris, Rivière, 1921, chapitre XI « Le Courant de la Conscience », pp. 196 et 198).