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en disant que l’intellect passif est lui-même un intelligible[1]. Quelque supérieur qu’il soit déjà à l’âme sensitive et même à l’intellect discursif, l’intellect passif ne peut évidemment rien penser par lui-même. Il faut qu’il soit actualisé par les formes intelligibles. Mais comment, chez l’homme, ces formes intelligibles pourront-elles actualiser l’intellect, alors qu’elles ne sont elles-mêmes rien d’actuel, enveloppées qu’elles sont dans la sensation et l’image ? C’est ici qu’intervient l’intellect qui fait, le νοῦς ποιητικός, comme ont dit les commentateurs. Il actualise les intelligibles enveloppés dans les images ; et en ce sens, en ce sens limité seulement, il fait les intelligibles. Quant à expliquer comment il procède pour actualiser les intelligibles, virtuellement contenus dans les images, c’est ce qu’Aristote ne fait qu’au moyen d’une comparaison. L’intellect qui fait est, dit-il, comme la lumière est aux couleurs dans la sensation : il rend l’intelligible saisissable[2]. Cette comparaison ne nous avance pas beaucoup. Reste toujours qu’éclairer est une action et qu’un agent n’agit que parce qu’il possède la forme. L’intellect qui fait ne serait donc pas autre chose, en dernière analyse, que la forme intelligible pure et déjà séparée : cette forme séparée évoquerait, appellerait à elle, pour ainsi dire, les formes engagées dans la matière imaginative. Mais, si l’intellect qui fait est forme pure, voilà la grave question de sa transcendance qui se pose. La pensée proprement humaine suppose toujours des images[3], et, partant, est corporelle ou du moins elle est liée au corps, forme du corps. L’intellect actif, qui est forme pure, n’a plus rien de commun avec le corps : il pense sans organe. Dès lors est-il encore quelque chose de nous ? Le fait est qu’Aristote lui prodigue des épithètes qui en font quelque chose de surna-

  1. Ibid. 430 a, 2 : καὶ αὐτὸς δὲ νοητός ἐστιν ὥσπερ τὰ νοητά.
  2. Ibid. 5, 430 a, 15 : … ὁ δὲ [sc. τοιοῦτος νοῦς] τῷ πάντα ποιεῖν, ὡς ἕξις τις, οἷον τὸ φῶς· τρόπον γάρ τινα καὶ τὸ φῶς ποιεῖ τὰ δυνάμει ὄντα χρώματα ἐνεργείᾳ χρώματα.
  3. Ibid. 7, 431 a, 16 : … οὐδέποτε νοεῖ ἄνευ φαντάσματος ἡ ψυχή. De mem. 1, 449 b, 31-450 a, 5, où le rôle des images dans la pensée abstraite est bien défini. Cf. Rodier, op. cit., 494-497.