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milieu, et que ce milieu c’est la chair, instrument du toucher sans doute, mais non à titre de sensorium. Toute la différence avec les autres sens est qu’ici le milieu fait partie du sentant lui-même (De an. II, 11, 422 b, 34-423 b, 26).

Sous les sens spéciaux, il y a un sens commun qui a trois fonctions : sentir les sensibles communs ; constituer par son indifférenciation l’unité du sensitif, ou, comme nous dirions, de l’esprit percevant à travers la diversité des sens et des sensations spécialisés ; enfin procurer au sentant la conscience de sa sensation. Cette dernière fonction est particulièrement intéressante. Elle ne peut pas relever de chaque sens spécial comme spécial ; car un tel sens est tout entier absorbé par la sensation de son sensible propre et c’est pourquoi, dans le De somno, Aristote a dit que ce n’est pas par la vue qu’on voit qu’on voit. Mais, dans le De anima, il dit au contraire que c’est la vue qui nous donne le sentiment que nous voyons[1]. Il n’y a pas contradiction. C’est que chaque sens spécialisé plonge par ses racines dans le sens commun : par ces racines, il n’est plus spécial, il est quelque chose du fond même de la sensibilité. Maintenant, pourquoi ce fond commun de la sensibilité nous donne-t-il, outre la sensation, la conscience de la sensation ou, selon l’expression des commentateurs, car Aristote n’a pas ici de mot technique, la συναίσθησις ? C’est qu’il ne devient pas tout entier la forme sensible. Le sens se sent donc accessoirement lui-même[2] ; et, s’il avait son objet en lui-même comme l’intellect a en soi les universaux[3], il serait sensation de la sensation. Aris-

  1. De somno, 2, 455 a, 12 sqq. et surtout 15 : … ἔστι δέ τις καὶ κοινὴ δύναμις ἀκολουθοῦσα πάσαις [sc. ταῖς αἰσθήσεσι], ᾗ καὶ ὅτι ὁρᾷ καὶ ἀκούει αἰσθάνεται· οὐ γὰρ δὴ τῇ γε ὄψει ὁρᾷ ὅτι ὁρᾷ… De an. III, 2 déb. : de deux choses l’une, ἢ τῇ ὄψει αἰσθάνεσθαι ὅτι ὁρᾷ, ἢ ἑτέρᾳ [sc. αἰσθήσει] ; or il faut nécessairement que ἡ αὐτὴ ἔσται τῆς ὄψεως (αὐτή τις ἔσται αὑτῆς 125 b, 16), car la seconde hypothèse aurait pour conséquence la régression à l’infini.
  2. Métaph. Λ, 9, 1074 b, 35 : φαίνεται δ’ ἀεὶ ἄλλου… ἡ αἴσθησις…, ἑαυτῆς δ’ ἐν παρέργῳ..
  3. Ibid. 1075 a, 3 : οὐχ ἑτέρου οὖν ὄντος τοῦ νοουμένου καὶ τοῦ νοῦ,