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lui permet de pâtir par l’action des extrêmes et de les apprécier ; ce qui fait aussi qu’il ne peut supporter, sans dommage pour lui, qu’une action modérée (De anima II, 11, 424 a, 2 ; 12, 424 a, 28). Le nombre des couples ou des sortes de couples de qualités sensibles est tel qu’il y a cinq sens spéciaux et qu’il ne peut y en avoir davantage (ibid. II, 6, 418 a, 11 ; III, 1 déb.). Le plus élevé, celui qu’il faudrait, par conséquent, étudier comme type, est la vue[1]. On voit à plein, à propos de ce sens, un fait caractéristique qui se retrouvera, bien que moins manifeste, dans tous les autres, à savoir qu’il faut, pour que la sensation se produise, un milieu interposé entre ce qui sent et le sensible. Le sens commun, dont nous parlerons tout à l’heure, réside dans le πνεῦμα, contenu lui-même dans le cœur[2] ; de plus chaque sens spécial a un organe ou sensorium propre : l’œil, l’oreille, etc., qui sont d’ailleurs en communication avec le sensorium central. Or, pour qu’il y ait sensation, il faut, comme on le voit manifestement dans la vision, que le sensible ne touche pas immédiatement le sensorium. Les objets colorés n’agissent sur l’œil qu’à travers un intermédiaire, un milieu, le diaphane, sorte de puissance qui se trouve dans l’air et dans l’eau[3]. De même l’ouïe réclame un milieu que les commentateurs appellent le διηχἐς, et l’odorat un autre milieu qu’ils appellent le δίοσμον. Le goût doit partager à cet égard le sort du toucher. Pour ce dernier, Aristote s’attache à démontrer qu’il exige, lui aussi, un

  1. Ibid. III, 3, 429 a, 2 : … ἡ ὄψις μάλιστα αἴσθησίς ἐστι…
  2. Voir Rodier, op. cit., ad II, 12, 424 a, 24 sq. (II, p. 332-334).
  3. De anima II, 7 et principalement 418 b, 4-13, 26-419 a, 1. Sur le diaphane et sur la théorie des couleurs, voir Rodier, op. cit.. p. 281 sq. : « Le visible, c’est la couleur. Mais, pour être vue, la couleur doit agir sur le diaphane, et sur le diaphane éclairé. Par lui-même, le diaphane, véhicule de la couleur, est invisible et incolore. Cependant on peut dire, en un sens, qu’il a pour couleur la lumière et que son acte, la lumière, est visible. » La lumière, c’est l’acte du diaphane indéterminé ; les couleurs, ce sont les diaphanes déterminés qui résident dans les corps et qui se rapprochent plus ou moins du blanc ou du noir, selon qu’ils renferment plus ou moins de feu ou de terre, de l’élément brillant ou de l’élément obscur.