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développement, en quelque sorte parallèle, de ses puissances, à un acte qui est pareil à celui de l’autre ; ou bien enfin si la sensibilité et le sensible ne sont séparément que des puissances et, à vrai dire, des abstractions dont la sensation, en les réunissant dans un état unique, fait une réalité et un acte. — À la vérité, la pensée d’Aristote oscille entre les trois conceptions. D’une part, il proteste contre l’opinion commune, qui voit dans la sensation une altération du sensitif : si c’est une altération, dit-il, c’est une altération d’un nouveau genre, ἀλλοίωσίς τις ; car elle ne change pas la nature de l’altéré, elle ne fait que le rendre plus lui-même en actualisant ses puissances propres[1]. — Mais Aristote est bien loin de pousser jusqu’au bout cette conception paralléliste ; il est bien loin de se représenter l’action du sensible sur les sens comme une simple occasion de la sensation. La vérité est tout au contraire que le sensible actualise la sensibilité par une action parfaitement réelle. La sensation est dans la sensibilité comme le mouvement est dans le mobile : il y a, comme nous dirions en langage moderne, une action transitive du sensible sur la sensibilité. Et la sensibilité est si bien subordonnée au sensible que, en faisant disparaître la première, on ne supprime pas le dernier, tandis que la disparition du sensible entraîne celle de la sensation[2]. La sensation, de ce point de vue, apparaît bien comme la peinture d’un dehors dans un dedans, ou comme l’impression d’un cachet sur la cire. Parfois Aristote ne semble même pas très éloigné de comparer la réception d’une sensation à celle d’un aliment.

  1. De an. II, 4, 415 b, 24 ; 5, 416 b, 34 ; 417 a, 30-b, 7 : cette altération est un passage ἐκ τοῦ ἔχειν τὴν ἄισθησιν ἢ τὴν γραμματικήν, μὴ ἐνεργεῖν δ’ εἰς τὸ ἐνεργεῖν… θεωροῦν γὰρ γίνεται τὸ ἔχον τὴν ἐπιστήμην, ὅπερ ἢ οὐκ ἔστιν ἀλλοιοῦσθαι (εἰς αὑτὸ γὰρ ἡ ἐπίδοσις καὶ εἰς ἐντελέχειαν) ἢ ἕτερον γένος ἀλλοιώσεως. Cf. Rodier, op. cit., p. 256, p. 257 et surtout p. 258 sq. et 260 (ad 417 b, 16-19).
  2. De sensu, 2, 438 b, 22 : τὸ γὰρ αἰσθητὸν ἐνεργεῖν ποιεῖ τὴν αἴσθησιν. De an. III, 2, 426 a, 2 : εἰ δή ἐστιν ἡ κίνησις καὶ ἡ ποίησις καὶ τὸ πάθος ἐν τῷ κινουμένῳ, ἀνάγκη καὶ τὸν ψόφον καὶ τὴν ἀκοὴν τὴν κατ’ ἐνέργειαν ἐν τῷ κατὰ δύναμιν εἶναι· ἡ γὰρ τοῦ ποιητικοῦ καὶ κινητικοῦ ἐνέργεια ἐν τῷ πάσχοντι ἐγγίνεται… Cat. 7, 7 b, 36 : τὸ μὲν γὰρ αἰσθητὸν ἀναιρεθὲν συναναιρεῖ τὴν αἴσθησιν, ἡ δὲ αἴσθησις τὸ αἰσθητὸν οὐ συναναιρεῖ.