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nourrir, de s’accroître et de décroître par soi-même[1] ». Comme l’accroissement n’est possible que par l’assimilation des aliments, c’est donc le fait de se nourrir qui est le caractère le plus élémentaire et le plus indispensable du vivant. « On ne dirait pas mieux aujourd’hui, écrit M. Pouchet[2]… Aristote y reconnaît [dans la nutritivité] aussi bien que nous le phénomène fondamental de la vie. » Toutefois il faut tâcher de ne pas se méprendre. Si la nutrition est dans l’être vivant quelque chose de très caractéristique et de très indispensable, elle ne constitue pas pourtant le fond et le secret de la vie. La nutrition en effet, aux yeux d’Aristote, n’est pas, pour parler le langage moderne, un simple phénomène physico-chimique. Certains ont pensé, dit-il (De an. II, 4, 416 a, 9), que le feu explique le fait de la nutrition, et lui-même ne se fait pas faute d’appeler la digestion une coction (πέψις) et d’invoquer pour en rendre compte une chaleur, déjà spéciale il est vrai, la chaleur animale[3]. Cela n’empêche pas que le feu, bien loin de suffire à l’explication, n’est ici qu’une cause adjuvante (συναίτιον) et que la cause véritable est l’âme. Et comme Aristote, ainsi que nous avons eu occasion de l’indiquer ailleurs (p. 314), n’a pas songé à conserver le mécanisme en le subordonnant aux autres causes, l’âme intervient dans la fonction élémentaire de la vie tout autrement que l’idée directrice de Claude Bernard : on peut être sûr qu’elle joue le rôle d’une cause efficiente. Il faut donc, à vrai dire, définir un vivant non pas un être qui se nourrit, mais un être animé, et chercher le principe de la vie dans l’âme : ἔστι δὲ ἡ ψυχὴ τοῦ ζῶντος σώματος αἰτία καὶ ἀρχή (De an. II, 4, 415 b, 8). Ainsi Aristote est, en matière de théorie de la vie, ce qu’on appelle un animiste. À plus forte raison est-il, comme d’ailleurs dans toute sa physique, un finaliste décidé. L’origine d’un vivant, comme on sait, doit toujours être cherchée, d’après

  1. De an. II, 1, 412 a, 13 : τῶν δὲ φυσικῶν τὰ μὲν ἔχει ζωήν, τὰ δ’ οὐκ ἔχει· ζωὴν δὲ λέγομεν τὴν δι’ αὐτοῦ [ou δι’ αὑτοῦ] τροφήν τε καὶ αὔξησιν καὶ φθίσιν. Cf. 2, 413 a, 20 sqq.
  2. Op. cit., p. 24.
  3. Pour les textes, cf. Bonitz, Ind. 591 a, 17.