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malheur, il n’a donné qu’une solution assez obscure. Que l’univers ne soit pas dans l’espace parce qu’il n’y a rien au-delà du ciel (5 déb. et 212 b, 8-10), c’est là une doctrine qu’on peut contester, mais qui est du moins parfaitement nette. Ce qui interdit à Aristote de nous laisser sur cette impression de netteté, c’est que le ciel se meut ; or se mouvoir c’est se détacher d’une limite contiguë. Assurément le ciel est immobile en ce sens qu’il n’est animé d’aucun mouvement de transport. Mais il se meut circulairement. Si donc on considère une partie de la sphère du premier ciel, cette partie change de lieu et, à plus forte raison, a un lieu. Ce lieu, nous dit Aristote, c’est la limite immobile continue au premier mû. La difficulté est de comprendre à quoi appartient cette limite, puisqu’il n’y a rien en dehors du premier ciel. Sans doute la limite du premier ciel peut se dédoubler par la pensée et, sous un de ses aspects, toucher seulement le premier ciel. Seulement une limite idéale n’en est pas une pour Aristote, c’est un attribut sans sujet[1].

Le caractère de la doctrine d’Aristote sur l’espace, et ce qui en fait la force, est justement de ne pas se payer d’abstractions en guise de notions complètes. Assurément c’est un esprit réalistique qui anime sa théorie, et c’est à parler aux sens et à l’imagination qu’il s’est attaché, plutôt qu’à satisfaire la raison. Toutefois, sous quelque inspiration que ç’ait été, il y avait du mérite à ne pas faire de l’espace un être. Il ne serait pas juste de reprocher à Aristote de n’avoir pas assez dégagé et assez abstrait la notion d’espace, si l’on entend par là qu’il n’a pas considéré l’espace comme un pur intervalle sans limites, comme un vague milieu homogène. C’est justement là ce qu’il n’a pas voulu faire. L’espace, pour lui, est si peu l’intervalle qu’il n’est même pas l’intervalle limité ; c’est exclusivement la limite. Voilà

  1. Phys. IV, 5, 212 b, 10 : ἐφ’ ᾧ δὲ κινεῖται, ταύτῃ καὶ τόπος ἔστι τοῖς μορίοις· ἕτερον γὰρ ἑτέρου ἐχόμενον τῶν μορίων ἐστίν. 18 : ἔστι δ’ ὁ τόπος οὐχ ὁ οὐρανός, ἀλλὰ τοῦ οὐρανοῦ τι τὸ ἔσχατον καὶ ἁπτόμενον τοῦ κινητοῦ σώματος πέρας ἠρεμοῦν… — Le texte du De caelo (V, 5) auquel Zeller fait allusion (p. 398, 1) est indiqué d’une façon erronée et nous ne l’avons pas trouvé.