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puissance dans un bloc de marbre. Sous les conditions voulues cette puissance deviendra acte, et nous aurons sous les yeux un Hermès, par exemple, complètement réalisé. Tel ne saurait être le cas de l’infini, puisque précisément il ne peut jamais exister en acte. L’espèce de puissance qu’il est reste toujours une puissance. Nous verrons plus tard qu’il y a au moins une autre puissance de cette sorte, à savoir le mouvement ; car il est passage entre deux extrêmes et s’évanouit dès qu’il atteint son terme. Comme le mouvement, l’infini n’est rien de substantiel ; il est toujours en voie de génération ou de corruption. En langage moderne, nous dirions que c’est un processus[1]. Ainsi compris, non seulement l’infini n’est que matière ; il est même moins encore : il est privation dans ce sujet ou matière qu’est le continu[2]. Il convient de le définir, non pas par un attribut positif, mais par une négation. Au lieu qu’il soit, comme on l’a dit, ce en dehors de quoi il n’y a rien, il est au contraire ce en dehors de quoi il y a toujours quelque chose (6, 207 a, 1). Anaximandre, lorsqu’il lui reconnaissait un prestige particulier (σεμνότης), le définissait de la manière positive, et c’était se tromper entièrement (ibid. 207 a, 17-21 ; cf. 4, 203 b, 10-15). L’infini est l’imparfait, car le parfait c’est l’achevé (207 a, 10-15). Aussi la nature évite-t-elle partout l’infini autant qu’elle peut, puisque ce qu’elle vise c’est un terme fixe (De gen. an. I, 1, 715 b, 14). — En conséquence de cette manière de comprendre l’infini, Aristote rejette, bien entendu, l’infini de composition (τὸ κατὰ τὴν πρόσθεσιν ἄπειρον), en ce sens qu’on pourrait, par la composition, réaliser un tout infini. Il n’y a point de corps infini. Le ciel est fini et nous avons vu que le fait d’être limité ne suppose pas un au-delà. Le seul infini qui mérite considération est celui de la division (κατὰ διαίρεσιν ou ἀφαιρέσει) toujours inachevée.

  1. Phys. III, 6, 206 a, 14-b, 3 ; citons seulement quelques lignes : ὥστε τὸ ἄπειρον οὐ δεῖ λαμβάνειν ὡς τόδε τι, οἷον ἄνθρωπον ἢ οἰκίαν, ἀλλ’ ὡς ἡ ἡμέρα λέγεται καὶ ὁ ἀγών, οἷς τὸ εἶναι οὐχ ὡς οὐσία τις γέγονεν, ἀλλ’ ἀεὶ ἐν γενέσει καὶ φθορᾷ… (a, 29-32).
  2. Ibid., 7, 207 b, 35 : … ὡς ὕλη τὸ ἄπειρόν ἐστιν αἴτιον, καὶ… τὸ μὲν εἶναι αὐτῷ στέρησις, τὸ δὲ καθ’ αὑτὸ ὑποκείμενον τὸ συνεχὲς καὶ αἰσθητόν.