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caractères essentiels du hasard. Aristote distingue, comme on sait, le hasard en général (τὸ αὐτόματον) et, dans l’extension de celui-ci, une espèce particulière de faits fortuits, ceux qui se produisent dans le domaine de la pratique humaine et qu’il appelle des effets de la fortune (τὸ ἀπὸ τύχης) (ch. 6). Or, au lieu de définir le hasard, c’est la fortune qu’il définit ; mais on voit que peu importe et que la fortune, si elle surajoute à ceux du hasard un caractère propre, doit contenir tous les éléments constitutifs du hasard. La définition est la suivante : « La fortune est la cause par accident de faits susceptibles d’être des fins, quand ces faits relèveraient de la pensée et du choix[1] ». Il suffit de supprimer le caractère de relever de la pensée pour avoir la définition du hasard en général, et de remplacer la pensée par la nature pour avoir la définition du hasard au sens étroit, en tant qu’il est, dans le genre, l’espèce opposée à la fortune. Le caractère de rareté laissé de côté, on voit que le hasard est pour Aristote constitué par deux éléments. D’abord il faut que ce qui sera un fait de hasard soit en principe susceptible d’être une fin, soit de l’homme, soit de la nature : tel le fait de rencontrer un débiteur sur la place publique, comme dit la Physique, ou de trouver un trésor, comme dit la Métaphysique (Δ, 30), second exemple qui est devenu classique et se retrouve jusque chez Cournot. Il faut ensuite que ce fait susceptible d’être une fin soit pourtant arrivé sans avoir été effectivement pris pour fin. Déterminé par des causes à tout autre égard, il n’en a pourtant pas en tant qu’il est susceptible d’être une fin. Capable de relever d’une activité téléologique, il n’a pourtant été produit par aucune activité téléologique, ou du moins par aucune activité qui ait été téléologique en tant qu’elle l’a produit. En d’autres termes, l’activité productrice d’un fait de hasard n’est téléologique que par accident : elle réalise, sans le poursuivre comme une fin, un événement qui pourrait être une fin. Le hasard est la cause que nous mettons à la place de l’activité téléo-

  1. Phys. II, 5, 197 a, 5 : … ἡ τύχη αἰτία κατὰ συμβεβηκὸς ἐν τοῖς κατὰ προαίρεσιν τῶν ἕνεκά του.