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Si les deux contraires sont réels, les différences de langage invoquées par Aristote ne peuvent plus être de très grande conséquence. La preuve d’ailleurs qu’il ne faut pas s’y fier, c’est que certains opposés, qu’Aristote range parmi les contraires, se laissent appliquer les mêmes formes de langage que les corrélatifs. Aristote serait obligé de déployer beaucoup de subtilités peu solides pour nous empêcher de dire « le droit du gauche » et « le bas du haut ». — Cependant il s’en faut, aux yeux d’Aristote, que, pour ramener les contraires aux corrélatifs, ce soit assez d’avoir établi que la seconde série des contraires a, comme l’autre, de la réalité. Car cette réalité des seconds contraires, on peut soutenir qu’elle n’est pas analogue à celle des corrélatifs qui répondent aux relatifs. Un commentateur des Catégories qui se plaisait à faire des objections, Nicostrate[1], avait bien cru s’apercevoir que les contraires, comme les corrélatifs, s’introduisent l’un l’autre dans la pensée et que, dès lors, il n’y a plus entre les uns et les autres de différence radicale. À cela Simplicius répond que Nicostrate a confondu les contraires, en tant qu’il y a entre eux contrariété, avec la réalité qui est sous les contraires. Autrement dit, dans l’opinion de Simplicius, les contraires sont des corrélatifs quant à la forme, mais non quant à la matière, quant au contenu qui est sous cette forme[2]. Cette réponse de Simplicius nous apparaîtra comme l’expression fidèle de la pensée d’Aristote pour peu que nous nous reportions aux Catégories[3]. Mais, dans l’espèce, la pensée d’Aristote est peu conforme aux principes qui d’ordinaire la dirigent. En effet cette séparation de la contrariété et de son contenu rappelle les abstractions violentes dans lesquelles se complaisent les partisans de la logique formelle ou du formalisme kantien, et elle ouvre la porte aux difficultés qu’amènent après elles ces deux manières de voir. Pourquoi appliquer la forme de

  1. Sur ce personnage, voir le début du commentaire de Simplicius sur les Catégories, 1, 18 sqq., éd. Kalbfl. (passage traduit par Bouillet, les Ennéades de Plotin, III, 630).
  2. Ibid. 385, 4-12, K. (Schol. 82 b, 26).
  3. Voir 10, 11 b, 32-35, texte cité p. 133, n. 1.