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dès ses débuts, atteint son apogée dans un tableau sans prix de la collection de Buckingham Palace, qui est un pur paysage, un merveilleux poème de nature. Sous un ciel orageux traversé d’éclaircies, fouetté de nuages et rayé d’averses chaudes, une vaste campagne fuit jusqu’à la ligne sombre des Alpes ; et de ce clair obscur palpitant et tremblé émergent des bouquets d’arbres, des murs blêmes ; des bergers et leurs troupeaux tour à tour voilés ou trahis par des lueurs errantes. La puissante animation des saisons fécondes, le drame éternel du ciel et de la terre, des clartés et des ombres parlent directement à l’esprit du spectateur.

D’autres fois, Titien, tout en laissant la première place aux figures, les incorpore si bien à la nature ambiante que le sentiment poétique et l’expression morale en sont inséparables. Le Louvre est particulièrement riche en œuvres de ce genre, la plupart de petit module, d’un charme intime et familier. La petite Sainte Catherine ou la Vierge au Lapin, où l’on croit reconnaître une toile envoyée à Federico Gonzaga, en 1530, est du nombre. Rien de plus simple et de plus délicat, de plus riche et de plus sonore. Même charme, même simplicité saisissante, avec une note plus douce et plus argentée, dans une autre Sainte Famille du même Musée. Plus important encore est le rôle de la nature dans le Saint Jérôme du Louvre, d’un effet si mystérieux : harmonie étouffée où passent en notes assourdies la pourpre sombre d’un manteau, des verts et des bruns presque noirs, des par-