Page:Hamel - Titien, Laurens.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’émouvoir et de loucher jusqu’aux larmes par le sentiment de la beauté, et d’appliquer aux thèmes les plus douloureux, les plus enivrantes cadences. Un cadavre bien-aimé que l’on porte avec précautions ; dans l’atmosphère d’or d’un soir d’été, l’heure de la séparation suprême ; une douleur déchirante qui meurt et s’épuise comme la lumière du jour s’apaise dans l’azur vespéral ; toute la gamme des sentiments humains, la précaution attentive des porteurs ; la souffrance contenue de l’amitié, le grand cri de l’amour et la maternité affaissée et palpitante, cela déjà est singulièrement beau d’arrangement sculptural et d’arabesque lumineuse ; mais c’est la couleur qui donne à cette œuvre son charme suprême. Les tons qui s’opposent se complètent et se fondent, ont une amplitude, une vibration longue et sonore dans l’ambiance opulente et chaude qui les rassemble. À cette date, le coloris de Titien possède tous ses éléments, et toute sa consistance. Par un emploi de plus en plus savant et calculé du clair obscur, il a gagné en profondeur ; il vient de plus loin, il jaillit avec plus de force grave et de charme enveloppé : la matière s’est enrichie, a pris une contexture plus serrée ; tout est à la fois plus dense et plus subtil. Ce sont ces qualités de métier qui permettent d’attribuer à cette époque une toile de la Pinacothèque de Munich, particulièrement riche, sombre et vibrante, et d’une très libre facture ; une Vierge toute jeune et naïve, avec l’enfant et saint Jean-Baptiste, dans l’ombre d’une grotte : à droite, un vieillard (sans doute le dona-