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TITIEN

Titien triomphe dans l’expression du bonheur. Il est par excellence le peintre de la vénusté. Il ne se lasse pas de redire son cantique enivré. Beauté des formes souples et puissantes, fleur et tiédeur de la chair, charme féminin de bonté, de tendresse et de douceur, il a modulé toutes les strophes de ce poème, avec un enthousiasme pénétrant et grave où la délicatesse morale du christianisme adoucit le robuste naturalisme de la Grèce. Son ivresse est légère et fine, elle ne s’emporte pas à la fougue, au lyrisme ardent de Rubens. Toujours maître de lui-même, Titien est classique et latin par la sélection élégante, par l’ardeur contenue qui fuit la prodigalité et se ramène à l’excellence des termes définitifs.

L’équilibre savant de ses compositions atteint au parfait naturel. Artiste méthodique et réfléchi, il semble reproduire avec la fraîcheur de l’inconscience les spectacles qui ont fait la volupté de ses yeux et l’enchantement de son esprit. Lignes et couleurs sont pourtant une création personnelle, mais conforme aux lois, aux rapports logiques de la nature. Nul n’a su mieux que lui établir un tableau autour d’une force centrale, en conduire l’arabesque, en distribuer les valeurs, rappeler la note dominante par des échos atténués, créer des unités organiques sur le modèle et le plan de l’univers. Peintre, il est un inventeur, un merveilleux alchimiste de la couleur. Il part d’un métier traditionnel, il invente un langage nouveau, d’une liberté et d’une hardiesse souveraines, et par là son œuvre est un chaînon nécessaire dans l’évolution de la peinture.