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introduction à l’histoire

prouver que les méthodes nouvelles tendaient, dès la première moitié du XVIIIe siècle, à sortir du cercle étroit des purs érudits.

Il est vrai que, dans son Esprit des lois (1748), Montesquieu a écrasé de son dédain les « trois mortels volumes » de Du Bos, dont il rejette indistinctement toutes les conclusions, et qu’après cette condamnation, bien rares ont été pendant longtemps les historiens qui ont osé s’y référer. Mais Montesquieu lui-même, quoique l’histoire n’intervienne chez lui qu’à l’appui de ses théories juridiques et philosophiques, ne peut s’empêcher de faire, à son tour, œuvre critique tout le long de son livre : hommage indirect, qui n’en est que plus décisif (même quand il pèche par manque de sûreté), rendu aux méthodes des érudits dont il affecte de se gausser.

Ce n’est cependant pas sous la conduite de Montesquieu, mais sous celle de Voltaire que l’histoire régénérée retrouve enfin, au milieu du XVIIIe siècle, l’audience d’un large public.

Non pas que Voltaire soit, pour sa part, à un titre quelconque, le disciple ou le continuateur soit des Bénédictins, soit des autres représentants de l’école érudite. Mais il est historien né par ce besoin irrésistible qui est en lui de tout comprendre, de tout expliquer, et dont on peut seulement déplorer qu’il soit desservi par de violents partis pris, propres à fausser trop souvent la rectitude de son jugement. Quand ses préjugés, et spécialement ses préjugés antireligieux, ne sont pas en cause, son intelligence se joue avec une étonnante maîtrise des obstacles sur lesquels ses devanciers étaient venus buter : dans le Siècle de Louis XIV (1751), comme dans l’Essai sur les mœurs (1756), — où, pour la première fois, l’histoire de la société elle-même et celle de la civilisation sont directement abordées, — les faits sont vus de haut, en fonction les uns des autres, avec une sûreté de coup d’œil, une indépendance d’esprit et un sens critique qui donnent au lecteur émerveillé l’illusion qu’après des siècles d’attente, l’histoire vient tout à coup de se dévoiler à lui.