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SES MÉMOIRES ET SON THÉÂTRE.

est d’une terrible invraisemblance. Eugénie, à l’insu de son père, a cru épouser un lord, le comte Clarendon. Mais le mariage a été simulé et c’est un domestique déguisé qui a fait l’office de ministre. Cette donnée admise, les trois premiers actes sont menés avec adresse. Les scènes où Eugénie découvre la ruse dont elle a été victime et apprend que son séducteur va épouser une riche héritière sont ingénieusement exécutées. Il y a de l’émotion dans l’aveu qu’elle fait à son père de ses imprudences et de son malheur. Mais à partir du quatrième acte, le drame se perd dans une inextricable confusion d’incidents, de surprises et de coups de théâtre. Les caractères sont de pure convention. On comprend très mal la volte-face de Clarendon, qui, après avoir machiné le faux mariage et sacrifié Eugénie déjà enceinte, revient brusquement à de meilleurs sentiments et retrouve « le bonheur avec Eugénie, la paix avec soi-même et l’estime des honnêtes gens ». Un des personnages affirme, il est vrai, que « l’âme d’un libertin est inexplicable ». C’est s’en tirer à bon compte !

Beaumarchais craignait qu’on lui reprochât d’avoir écrit ce drame « trop simplement ». Un de ses amis, raconte-t-il, ayant entendu lire la version primitive d’Eugénie, l’avait engagé à en émonder le style, et lui avait tenu le propos suivant : « Ayez la vertu d’être moins élégant et vous serez plus vrai » ;