Page:Hallays - Beaumarchais, 1897.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
SES DEUX RÉPUTATIONS.

sommes considérables s’il veut se charger de faire réussir l’affaire. Le comte l’écoute avec le plus grand calme, et quand Beaumarchais a tout dit : « Monsieur de Beaumarchais, lui répond-il, vous ne pouviez venir dans un moment plus favorable, car j’ai passé une bonne nuit, j’ai bien digéré, jamais je ne me suis mieux porté qu’aujourd’hui ; si vous m’aviez fait hier une pareille proposition, je vous aurais fait jeter par la fenêtre ».

En ce siècle-ci, lorsque des spéculateurs s’avisent de proposer des marchés pareils à celui qu’offrait Beaumarchais au comte de Vaudreuil, on a un peu perdu l’habitude de les jeter par la fenêtre ou même de les pousser à la porte. Sans doute, on trouve aujourd’hui beaucoup de braves gens capables d’imiter sinon l’esprit du moins la probité de M. de Vaudreuil ; on en trouve plus qu’on ne croit et surtout plus qu’on ne dit. Mais j’imagine, malgré tout, que Beaumarchais n’eût pas été très différent de lui-même dans une société qui, comme la nôtre, est peu disposée à décourager l’impudence de ceux qui aiment l’argent et méprisent l’humanité.

Il n’est point équitable, non plus, de rejeter sur l’universelle corruption les défaillances de Beaumarchais. Certes, la cour de Louis XV n’était pas une école de morale ; et quand, avec un rare cynisme, Beaumarchais expose à Choiseul par quelles roueries il a, pour le bien de la France,