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ANNE DE ROHAN

Que, sans fin, nos soupirs montent dedans les cieux ?
Que, sans espoir, nos pleurs descendent sur la terre ?

Il le faut, on le doit, et que pouvons-nous rendre,
Que des pleurs assidus à cette auguste cendre ?
Arrosons à jamais son marbre triste et blanc.
Non, non, quittons plustôt ces inutiles armes !
Mais, puisqu’il fut pour nous prodigue de son sang,
Serions-nous bien pour lui avares de nos larmes ?

Quand bien nos yeux seraient convertis en fontaines
Ils ne sauraient noyer la moindre de nos peines ;
On espanche des pleurs pour un simple meschef ;
Un devoir trop commun bien souvent peu s’estime,
Il faut doncques mourir aux pieds de notre chef,
Son tombeau soit l’autel, et son corps la victime.

Mais qui pourrait mourir ? les Parques filandières
Dédaignent de toucher à nos moites paupières ;
Ayant fermé les yeux du prince des guerriers,
Atropos de sa proie est par trop glorieuse,
Elle peut bien changer son cyprès en lauriers,
Puisque de ce vainqueur elle est victorieuse.

Puisqu’il nous faut encore et soupirer et vivre,
Puisque la Parque fuit ceux qui la veulent suivre,
Vivons donc en plaignant notre rigoureux sort,
Notre bonheur perdu, notre joie ravie ;
Lamentons, soupirons et jusques à la mort,
Témoignons qu’en vivant, nous pleurons notre vie.

Plaignons, pleurons sans fin cet esprit admirable,
Ce jugement parfait, cette humeur agréable,
Cet Hercule sans pair, aussi bien que sans peur ;
Tant de perfections, qu’en louant, on soupire,
Qui pouvaient asservir le monde à sa valeur,
Si la rare équité n’eût borné son empire.