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la littérature canadienne française


Et mon amour meurtri comme une chair qui saigne,
Repose sa blessure et calme ses névroses,
Et voici que les lys, la tulipe et les roses,
Pleurent les souvenirs où mon âme se baigne.

Nelligan aurait pu couper la troisième strophe de ce morceau, qui fit intervenir de nouveau et mal à propos la splendeur occidentale alors que la danse du clair de lune avait commencé déjà. Mais à part cette défaillance, on peut constater que ses corrections sont en général excellentes, et qu'elles dénotent en tout cas du goût et de l'oreille[1]. Il y a là quelque chose de nouveau dans la poésie canadienne, dont les auteurs ne nous ont pas habitué à ces scrupules littéraires.

Nelligan n'était pas seulement un enfant bien doué. Il travaillait. Il ne se croyait point parvenu à la perfection dès que son alexandrin avait atteint son douzième pied, ou qu'il avait pu lui accrocher une rime suffisante. Que l'on compare cette méthode de travail à celle de Crémazie, qui composait de tête et emmagasinait dans son cerveau les vers qu'il avait composés. Si ces résultats proviennent de l'enseignement mutuel de la fraternelle critique de l’École littéraire, que l’École littéraire soit bénie, car elle a pour la première fois acclimaté au bord du Saint-Laurent des habitudes de travail sans lesquelles il n'y a pas de vrai poètes. Elle a remplacé l'admiration réciproque par la critique. Les écrivains

  1. On peut voir aussi dans Banquet Macabre (p. 87). Une première et imparfaite ébauche de la Romance du vin.