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IX
À M. Louvigny de Montigny

Et pourtant, presque à chaque page, à chaque ligne de mon travail, je faisais une constatation mélancolique. Après un siècle d’isolement et de séparation, nos deux pays se seraient-ils retrouvés pour, se perdre une fois encore ? Le message de la Capricieuse serait-il périmé ? Les efforts que nous avons faits de part et d’autre pour maintenir en Amérique notre langue et notre race devraient-ils se terminer par une sorte de divorce moral, de séparation d’âmes ? Je ne parle pas ici de certains espoirs trop rapides que la multiplication merveilleuse de vos familles avaient fait naître, et que l’immigration anglo-saxonne, germanique ou slave, rend problématiques, mais des rapports mêmes de votre province avec notre pays. Tandis que le gros du public français en est encore à la joie de vous retrouver et n’apprend qu’à peine à vous connaître, faut-il prendre au tragique des symptômes qui n’échappent point à vos amis les plus sincères et plus désintéressés ?

Il est certain que nos rapports ne sont plus ce qu’ils étaient il y a dix ans. Mon vénérable ami l’abbé Casgrain serait péniblement surpris, s’il revenait sur la terre. Quelques maladresses de notre part, quelques accès de susceptibilité de la vôtre, ont rendu les relations parfois difficiles.

Malgré toute notre sympathie et toute notre affection, différentes sont souvent nos manières de penser. Lord Durham écrivait, il y a soixante-dix ans, dans son célèbre rapport, que les Canadiens Français ont été séparés de leur ancienne patrie