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VII
À M. Louvigny de Montigny

et ils font partie intégrante de notre nation, au même titre que les Bretons ou les Flamands. Il nous ont même donné un maître… Mais que voulez-vous ? leurs conscrits et leurs réservistes, quand ils endossent l’uniforme, ignorent la langue dans laquelle on les commande, et présentent ce paradoxe de soldats français qui ne parlent pas français. De cette terre foncièrement italienne où m’amène le hasard paresseux des vacances, je ne puis m’empêcher de reporter ma pensée vers la France d’Amérique, plus française cent fois que la Corse où flotte notre drapeau. Tandis que l’on raconte ici d’extraordinaires histoires qui datent de l’année dernière et qui font pâlir Colomba, il est difficile de se figurer que l’on n’est pas reporté au XVIe siècle. Hier, à cinq cents mètres de l’endroit d’où je vous écris, un soldat a plongé neuf centimètres de couteau dans la poitrine d’un de ses camarades, pour une affaire de vendetta. Que les Canadiens à l’accent normand sont plus près de nous, et qu’ils me rappellent davantage les paisibles gens d’Évreux ou de Lisieux, ou de Honfleur, et de toute la molle et grasse contrée du Nord-Ouest !

Le paquebot qui nous amenait vers cette Corse enchantée et enchanteresse, dont les paysages ont un charme si purement classique, fendait, par une soirée divinement calme, les eaux du golfe de Gênes que la lune rendait lumineuse. Une voix d’homme s’éleva soudain dans la nuit, une voix vibrante et sonore, chaude et méridionale, chantant