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Scène VI.

REINETTE, PIERRE.
PIERRE, à part.
Qué qu’je vois !… v’là qu’à c’t’heure
Ell’le caress’! N’vous gênez pas !…
REINETTE.
Ah ! de bonheur je crois que j’pleure,
Pierre, au pays tu resteras.
Le père Mathieu…
PIERRE, avec effroi.
Le père Mathieu… … Mam’zell’Reinette !
REINETTE, désignant le violon.
C’est lui qui nous fera danser.
PIERRE.
J’lui défends pour commencer.
REINETTE.
Je veux l’embrasser.
PIERRE.
Lâchez-moi, c’te vilaine bête,
Ou j’fais un coup de ma tête.
Lâchez-moi ça.
REINETTE.
C’est c’qu’on verra.
PIERRE.
C’est c’qu’on verra. Eh bien !
Tant pis ! j’n’écout’plus rien.
Quand d’dans s’rait l’diable,
J’romprai l’charme.


Scène VII.

Les Mêmes, le père MATHIEU.

(Il entre au moment où le manche reste dans la main de Pierre.)

MATHIEU, le bâton levé.
J’romprai l’charme. Misérable !
REINETTE, se jetant au-devant de lui.

(Parlé.) Mon parrain !

(Le père Mathieu laisse tomber son bâton.)

CANTABILE.
MATHIEU, s’adressant à Pierre.
I
Je t’apportais ta délivrance,
Le bonheur ingrat !… et ta main
Vient de briser mon gagne-pain.
Adieu, ma dernière espérance,
Je n’ai plus qu’à mourir de faim.

(Considérant son violon à terre.)

II
C’était mon seul bien sur la terre,
Et le vieillard déshérité,
Fier de sa noble pauvreté,
Par lui rêvait dans sa chaumière
Le bonheur et la liberté !

(Il tombe anéanti sur le banc, la tête dans ses mains. Reinette s’empresse autour de lui.)

PIERRE, à voix basse.

Pstt ! pstt ! mam’zelle Reinette, regardez, il y a un papier d’dans. (Elle s’approche vivement pour le ramasser.) N’y touchez point. C’est encore quelque sortilège, ben sûr.

REINETTE.

Tais-toi, sans cœur ! (Elle tire un papier de dedans la hanche. Haut.) Mon parrain, voyez donc ce que je viens de trouver dans vot’violon.

MATHIEU, levant la tête.

Hein !

REINETTE,

On dirait d’un’lettre.

MATHIEU, saisissant le papier.

Une lettre ! Qu’ai-je vu ! l’écriture de mon père. (Lisant.) « Mon fils, j’ai tenu le serment fait à ta mère en ne te révélant pas, moi, vivant, le nom de ceux qui nous ont dépouillés. Tu m’as promis à ton tour de briser ton violon le jour où tu seras malheureux. Il te fournira les moyens de faire valoir tes droits sur le château de Kerdrel, ton héritage légitime. »

REINETTE et PIERRE, vivement.

Le château d’not’pays !

MATHIEU, à part.

Justice du ciel !…

REINETTE.

Il serait donc à dire, mon parrain, que vous êtes un grand seigneur ?

MATHIEU.

Non, mes enfants, non, tout cela n’est qu’un rêve, (Tirant un portefeuille de son sein, et le regardant.) Grâce à ce portefeuille, le prix de ta liberté, qu’un ange de bonté t’envoie, Pierre. (Il le lui donne.) Le château de Kerdrel restera à ceux qui l’habitent.

REINETTE.

Et vous, mon parrain ?

MATHIEU.

Moi, mes enfants je serai ce que j’ai toujours été… un pauvre violoneux.

(Il déchire la lettre.)

COUPLET.
Tout petit dans ce village,
J’essayai mes premiers pas ;
J’y veux finir mon voyage
Appuyé sur vos deux bras.
Que faut-il à ma vieillesse ?
Du soleil et quelques fleurs…
PIERRE, à genoux.

Pardonnez-moi, père Mathieu ; mais je le raccommoderai si bien, si bien, qu’il n’y paraîtra plus.

LE PÈRE MATHIEU, le relevant et les prenant dans ses bras.
Eh ! lou lou la,
Donnons-leur la richesse.
Eh ! lou lou la,
Et gardons les bons cœurs.


FIN DU VIOLONEUX.



La partition gravée se trouve chez MM. BRANDUS, DUFOUR et Cie, Éditeurs, rue Richelieu.

PARIS. – Typ. Walder, rue Bonaparte, 44.