Scène VI.
- Qué qu’je vois !… v’là qu’à c’t’heure
- Ell’le caress’! N’vous gênez pas !…
- Ah ! de bonheur je crois que j’pleure,
- Pierre, au pays tu resteras.
- Le père Mathieu…
- … Mam’zell’Reinette !
- C’est lui qui nous fera danser.
- J’lui défends pour commencer.
- Je veux l’embrasser.
- Lâchez-moi, c’te vilaine bête,
- Ou j’fais un coup de ma tête.
- Lâchez-moi ça.
- C’est c’qu’on verra.
- Eh bien !
- Tant pis ! j’n’écout’plus rien.
- Quand d’dans s’rait l’diable,
- J’romprai l’charme.
Scène VII.
(Il entre au moment où le manche reste dans la main de Pierre.)
- Misérable !
(Parlé.) Mon parrain !
(Le père Mathieu laisse tomber son bâton.)
- Je t’apportais ta délivrance,
- Le bonheur ingrat !… et ta main
- Vient de briser mon gagne-pain.
- Adieu, ma dernière espérance,
- Je n’ai plus qu’à mourir de faim.
(Considérant son violon à terre.)
- C’était mon seul bien sur la terre,
- Et le vieillard déshérité,
- Fier de sa noble pauvreté,
- Par lui rêvait dans sa chaumière
- Le bonheur et la liberté !
(Il tombe anéanti sur le banc, la tête dans ses mains. Reinette s’empresse autour de lui.)
Pstt ! pstt ! mam’zelle Reinette, regardez, il y a un papier d’dans. (Elle s’approche vivement pour le ramasser.) N’y touchez point. C’est encore quelque sortilège, ben sûr.
Tais-toi, sans cœur ! (Elle tire un papier de dedans la hanche. Haut.) Mon parrain, voyez donc ce que je viens de trouver dans vot’violon.
Hein !
On dirait d’un’lettre.
Une lettre ! Qu’ai-je vu ! l’écriture de mon père. (Lisant.) « Mon fils, j’ai tenu le serment fait à ta mère en ne te révélant pas, moi, vivant, le nom de ceux qui nous ont dépouillés. Tu m’as promis à ton tour de briser ton violon le jour où tu seras malheureux. Il te fournira les moyens de faire valoir tes droits sur le château de Kerdrel, ton héritage légitime. »
Le château d’not’pays !
Justice du ciel !…
Il serait donc à dire, mon parrain, que vous êtes un grand seigneur ?
Non, mes enfants, non, tout cela n’est qu’un rêve, (Tirant un portefeuille de son sein, et le regardant.) Grâce à ce portefeuille, le prix de ta liberté, qu’un ange de bonté t’envoie, Pierre. (Il le lui donne.) Le château de Kerdrel restera à ceux qui l’habitent.
Et vous, mon parrain ?
Moi, mes enfants je serai ce que j’ai toujours été… un pauvre violoneux.
(Il déchire la lettre.)
- Tout petit dans ce village,
- J’essayai mes premiers pas ;
- J’y veux finir mon voyage
- Appuyé sur vos deux bras.
- Que faut-il à ma vieillesse ?
- Du soleil et quelques fleurs…
Pardonnez-moi, père Mathieu ; mais je le raccommoderai si bien, si bien, qu’il n’y paraîtra plus.
- Eh ! lou lou la,
- Donnons-leur la richesse.
- Eh ! lou lou la,
- Et gardons les bons cœurs.