bois qu’on aime quasiment autant que sa filleule.
Oui… un morceau de bois qui me donne du pain depuis trente ans, et qui vaut à lui seul tous les bons cœurs du pays ! Tu t’es plus d’une fois endormie en l’écoutant, ma mignonne. C’est lui qui t’a appris toutes les belles chansons que tu chantes si gentiment ; C’est lui qui te fait danser le dimanche, là-bas, sous les grands arbres. N’ai-je pas raison d’en avoir bien soin ? Tu ne devines pas pourquoi je suis venu te trouver avec lui de si grand matin ?
Oh ! que si ! vous allez me chanter vot’jolie ronde que j’aime tant, pas vrai ?
MATHIEU, approuve de la tête.
Comm’c’est gentil !
(À part.) Brrr ! (Haut.) Quelle heure qu’il pourrait bien être, sans vous commander ?
Est-ce que tu es pressé ?
Non pas… non pas… au contraire.
Alors, écoute-moi ça, mon garçon.
J’vas filer… j’vas filer.
(Au moment où la musique commence, Pierre, qui s’éloignait à pas de loup, s’arrête comme sous le charme et se rapproche. C’est, en pantomine, la reproduction de la scène de la forêt.)
- Le violoneux du village
- C’est encor moi, mes enfants,
- De vous voir tous au bel âge
- Je rajeunis de vingt ans.
- Vous êtes toujours ingambes,
- Livrez-vous donc au plaisir. (bis.)
- Eh lon lon la, Dieu vous donna des jambes.
- Eh lon lon la, c’est pour vous en servir.
- Je vous dirai qu’à votre âge
- J’aurai dansé nuit et jour.
- J’étais de fer à l’ouvrage,
- J’étais de flamme en amour.
- Tout alors m’était possible,
- Je n’ai plus que le désir.
- Eh lon lon la, l’on a le cœur sensible,
- Eh lon lon la, faut savoir s’en servir.
- Un jour, triste souvenance,
- L’airain de notre clocher,
- Voix suprême de la France !
- Nous cria : C’est l’étranger !
- Je partis avec l’aurore,
- Les violons durent dormir. (bis.)
- Eh lon lon la, l’on a des bras encore,
- Eh lon lon la, l’on saurait s’en servir.
(À la fin du dernier couplet, Pierre s’en va en courant, comme s’il était parvenu à rompre le charme.)
Scène IV.
Eh bien, es-tu contente de moi, mignonne ?
À preuve, voilà deux bons gros baisers pour la peine.
Prends garde, ton amoureux va être jaloux (Le cherchant des yeux.) Tiens, où est-il donc passé ?
Je n’sais pas. Mais l’pauvre garçon n’a guère d’chance.
Comment guère de chance… un gaillard qui sautait comme un cabri quand je suis arrivé… à qui tu permets de te faire la cour, et qui mordait après toi comme après la miche.
Possible ! possible ! mais il va partir à l’armée de la guerre… L’gouvernement a besoin de lui… les hommes coûtent deux mille francs cette année, et son oncle, qui devait lui acheter un remplaçant, l’a mis à la porte.
Ah ! tu m’en diras tant !…
Alors, moi… je n’y ai pas été par quatre chemins, pour qu’y n’soye plus conscrit, j’y ai demandé sa main à la bonne franquette.
Et…
Et il me l’a accordée.
Vraiment ; et puis…
Et puis, dame… si ça n’suffit pas, eh ben, j’partirai avec lui.
Partir, toi !
C’est décidé, je m’frai nommer…
Général, peut-être ?
Mieux que ça… cantinière.
Cantinière ! avec ces petits pieds, avec ces petites menottes… tu perds la tête, mignonne.
On m’a dit qu’il ne fallait que du cœur pour ça, et comme Pierre n’en a pas à revendre, j’serai ben forcé d’en avoir pour deux.
Il ne te manquerait plus que d’apprendre à faire l’exercice.
C’n’est déjà pas si difficile… avec une ou deux leçons de vous, j’en saurais peut-être bien autant que not’garde champêtre.