revanche, a été incontestablement très désavantageuse pour notre patrie allemande. Une quantité de caractères serviles, d’individus incapables, cupides et rampants se sont trouvés, par suite, conservés et se sont propagés. Les idées fossiles de beaucoup de nos juristes, parmi ceux qui donnent le ton, nous semblent aujourd’hui reculer souvent jusqu’à la période crétacée ou jurassique, tandis que les déclamations paléozoïques de beaucoup de théologiens et de synodes nous reportent même jusqu’aux périodes permienne et carbonifère.
Nous ne devons cependant pas prendre trop au sérieux les craintes que pourraient nous inspirer les progrès de la réaction politique et religieuse. Songeons à la puissance inouïe de culture que représente aujourd’hui le commerce international, si colossal, et fions-nous à l’échange de pensées libérateur que rendent chaque jour possible des milliers de lignes de chemin de fer et de bateaux à vapeur qui unissent l’Orient à l’Occident. Chez nous aussi, en Allemagne, l’obscurité aujourd’hui régnante devra céder devant les rayons du soleil revenu et c’est à quoi, j’en ai la ferme conviction, le triomphe inévitable de l’idée d’évolution contribuera puissamment[1].
À côté de la loi d’évolution et en étroit rapport avec elle, on peut considérer comme le suprême triomphe de la science moderne la toute-puissante loi de substance, la loi de conservation de la matière (Lavoisier, 1789) et de la conservation de la force ou énergie (Robert Mayer, 1842). Ces deux grandes lois sont en contradiction manifeste avec les trois grands dogmes centraux de la métaphysique, que la plupart des gens cultivés considèrent aujourd’hui encore comme les trésors les plus précieux
- ↑ La religion et l’idée d’évolution. — À l’occasion de ces mêmes conférences de Berlin, on m’a adressé de nouveau, dans les journaux orthodoxes et conservateurs, avec une violence particulière, le vieux reproche que l’idée d’évolution détruisait la religion et avec elle les bases d’un état organisé et jusqu’à la civilisation tout entière. Ce grave reproche n’est justifié que si l’on entend par « religion » la superstition traditionnelle, la conception anthropomorphiste d’un « Dieu personnel » défini, la prétention égoïste à une bienheureuse « vie éternelle » et la croyance erronée que l’humanité et la moralité véritables ne sont possibles que fondées sur ces imaginations mystiques. Je crois fermement, au contraire, à cette idée rationnelle que notre religion moniste, fondée sur la con- naissance moderne de la nature, sur la loi de substance et la doctrine évolutionniste constitue le plus grand progrès de l’esprit humain sur le domaine lui-même de la philosophie pratique, en éthique comme en sociologie, en pédagogie comme en politique. J’ai longuement cherché à justifier cette conviction inébranlable dans mes deux derniers ouvrages, les Énigmes de l’Univers et les Merveilles de la vie.