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naux sont de rigueur pour désigner les papes et les souverains étrangers, mais on peut se servir des nombres cardinaux pour désigner les souverains français : Henri quatre est plus courant que Henri quatrième ; on dit aussi : nous avons le trois ; entre le trois et le vingt-sept. Th. Corneille (I, 215) mentionne Bouhours (I, p. 585) et Ménage (I, p. 478) qui tous deux se prononcent pour les nombres cardinaux, lorsqu’il est question du rang des souverains. L’Académie les déclare courants pour cet usage. Elle admet aussi les expressions livre trois, chapitre cinq. Patru et Ménage mentionnent c’est la cinq ou sixième fois. Bouhours (II, p. 210) fait la remarque que les avocats, en parlant, disent le dix août, etc., mais qu’ils se servent des nombres ordinaux lorsqu’ils écrivent ; il rappelle aussi qu’on écrit souvent dans une lettre, par abréviation, le six novembre ; mais qu’il y a beaucoup de personnes qui mettent le six de novembre, ce qui est plus correct. Richelet se sert des nombres ordinaux pour désigner les dates et le rang d’un souverain.

Remarque I. Les exemples suivants renferment une abréviation encore très courante dans la langue populaire d’aujourd’hui. Ex. : Puis souffre un coup avec grande constance. Au deux, il dit : « Donnez-moi patience... » Le tiers est rude... Au quart il fait une horrible grimace, Au cinq un cri. (La Font., Contes, I, 10, 60, 65.) — Elle est dans son neuf (neuvième mois). (Sév., IV, 118.)

Remarque II. Demi était adjectif, même lorsqu’il précédait le substantif, et s’accordait comme les autres adjectifs. Palsgrave (p. 373) l’emploie encore ainsi, tandis que Vaugelas (II, 56) érige en règle l’usage moderne. Th. Corneille et l’Académie l’approuvent, Richelet préconise l’emploi actuel ; néanmoins demi reste adjectif pendant tout le siècle. Cf. Perdre une demie année de vos actions. (Balz., Lettr., I, 7.) — Je l’ai étudié une bonne grosse demie-heure. (Mol., M. de Pourc., I, 4.) — Il n’avoit plus qu’une demie-heure de temps. (Rac., Lettr., VI, p. 443.) — Ne vous contentez pas de quelques aumônes, ni de quelque demie restitution. (Boss., Haine de la vérité [1661], 2.) — La même règle s’applique à l’adjectif nu dans nu-pieds, qui n’était pas encore considéré comme partie intégrante de ce composé[1]. Ex. : Elle y alla nus pieds. (Rac., P.-R., IV, p. 509.) — Elle monta seule et nus pieds sur l’échelle. (Sév., IV, 533[2].) Tout en soutenant que les

  1. Demi et nu, placés devant un substantif, sont considérés aujourd’hui comme premier terme d’un mot composé et restent invariables. Placés après le substantif, ils s’accordent avec lui [demi-heure, une heure et demie ; nu-pieds, les pieds nus]. Les exceptions nue-propriété et nus-propriétaires sont des archaïsmes. — Voyez Syntaxe Darmesteter-Sudre, § 370, p. 13 et 14. — Ibid. sur l’emploi du mot feu : feu la reine et la feue reine.
  2. Rac, P.-R., IV, p. 509 ; Sév., IV, 533.— Les éditions des Grands Écrivains donnent nu-pieds dans ces deux exemples, ce qui n’empêche pas que nu ne soit employé avec accord dans les éditions originales.