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il apprit que le service des lignes de Windsor et de Chertsey était maintenant interrompu, Les employés lui dirent que, le matin même, les chefs de gare de Byfleet et de Chertsey avaient télégraphié des nouvelles surprenantes qui avaient été brusquement interrompues.

Mon frère ne put obtenir d’eux que des détails fort imprécis.

— On doit se battre, là-bas, du côté de Weybrigde, fut à peu près tout ce qu’ils purent dire.

Le service des trains était à cette heure grandement désorganisé ; un grand nombre de gens qui attendaient des amis venant des comtés du sud-ouest encombraient les quais. Un vieux monsieur à cheveux gris s’approcha de mon frère et se répandit en plaintes amères contre l’insouciance de la compagnie.

— On devrait réclamer, il faut que tout le monde fasse des réclamations, affirmait-il.

Un ou deux trains arrivèrent, venant de Richmond, de Putney et de Kingston, contenant des gens qui, étant partis pour canoter, avaient trouvé les écluses fermées, et un souffle de panique dans l’air. Un voyageur vêtu d’un costume de flanelle bleue et blanche donna à mon frère d’étranges nouvelles.

— Il y a des masses de gens qui traversent Kingston dans des voitures et des chariots de toute espèce, chargés de malles et de ballots contenant leurs affaires les plus précieuses. Ils viennent de Molesey, de Weybridge et de Walton et ils disent qu’on tire le canon à Chertsey — une terrible canonnade — et que des cavaliers sont venus les avertir de se sauver immédiatement parce que les Marsiens arrivaient. À la gare de Hampton Court, « nous », nous avons entendu le canon, mais nous avons cru d’abord que c’était le tonnerre. Que diable cela peut-il bien vouloir dire ? Les Marsiens ne peuvent pas sortir de leur trou, n’est-ce pas ?

Mon frère ne pouvait le renseigner là-dessus.

Peu après, il s’aperçut qu’un vague sentiment de péril avait gagné les voyageurs du réseau souterrain et que les excursionnistes dominicaux commençaient à revenir de tous « lungs » du Sud-Ouest, — Barnes, Wimbledon, Richmond Park, Kew, et ainsi de suite — à des heures inaccoutumées ; mais ils n’avaient à raconter que de vagues ouï-dire. Tout le personnel de la gare terminus semblait de fort mauvaise humeur.

Vers cinq heures, la foule, qui augmentait incessamment aux alentours de la gare, fut extraordinairement surexcitée, quand elle vit ouvrir la ligne de communication, presque invariablement close, qui relie entre eux les réseaux du Sud-Est et du Sud-Ouest, et passer des trucs portant d’immenses canons et des wagons bourrés de soldats. C’était l’artillerie qu’on envoyait de Woolwich et de Chatham pour protéger Kingston. On échangeait des plaisanteries.

— Vous allez être mangés !

— Nous allons dompter les bêtes féroces !

Et ainsi de suite.