Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui, nous dévisageaient curieusement. L’artilleur sauta du talus sur la route, rectifia la position et salua.

— Ma pièce a été détruite hier soir, mon lieutenant. Je me suis caché. Je tâche maintenant de rejoindre ma batterie. Vous apercevrez les Marsiens, je pense, à un demi-mille d’ici en suivant cette route.

— Comment diable sont-ils ? demanda le lieutenant.

— Des géants en armure, mon lieutenant. Trente mètres de haut, trois jambes et un corps comme de l’aluminium, avec une grosse tête effrayante dans une espèce de capuchon.

— Allons donc ! dit le lieutenant, quelles sottises !

— Vous verrez vous-même, mon lieutenant. Ils portent une sorte de boîte qui envoie du feu et qui vous tue d’un seul coup.

— Que voulez-vous dire ?… Un canon ?

— Non, mon lieutenant — et l’artilleur entama une copieuse description du Rayon Ardent. Au milieu de son récit, le lieutenant l’interrompit et se tourna vers moi. J’étais resté sur le talus qui bordait la route.

— Vous avez vu cela ? demanda le lieutenant.

— C’est parfaitement exact, répondis-je.

— C’est bien, fit le lieutenant. Mon devoir est d’aller m’en assurer. Écoutez, dit-il à l’artilleur, nous sommes détachés ici pour avertir les gens de quitter leurs maisons. Vous ferez bien d’aller raconter la chose vous-même au général de brigade et lui dire tout ce que vous savez. Il est à Weybridge. Vous savez le chemin ?

— Je le connais, répondis-je.

Et il tourna son cheval du côté d’où nous venions.

— Vous dites à un demi-mille ? demanda-t-il.

— Au plus, répondis-je, et j’indiquai les cimes des arbres vers le sud. Il me remercia et se mit en route. Nous ne le revîmes plus.

Plus loin, un groupe de trois femmes et de deux enfants étaient en train de déménager une maison de laboureur. Ils surchargeaient une charrette à bras de ballots malpropres et d’un mobilier misérable. Ils étaient bien trop affairés pour nous adresser la parole, et nous passâmes.

Près de la gare de Byfleet, en sortant du bois, nous trouvâmes la contrée calme et paisible sous le soleil matinal. Nous étions bien au delà de la portée du Rayon Ardent et, n’eût été le silence désert de quelques-unes des maisons, le mouvement et l’agitation de départs précipités dans d’autres, la troupe de soldats campée sur le pont du chemin de fer et regardant au long de la ligne vers Woking, ce dimanche eût semblé pareil à tous les autres dimanches.