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Woking et son groupe de maisons, puis le Rayon Ardent y fut braqué et tout fut en un instant changé en un monceau de ruines enflammées. Enfin, le monstre éteignit le Rayon et, tournant le dos à l’artilleur, de son allure déhanchée, il se dirigea vers le bois de sapins consumés qui abritait le second cylindre. Comme il s’éloignait, un second Titan étincelant surgit tout agencé hors du trou.

Le second monstre suivit le premier ; alors l’artilleur parvint à se dégager et se traîna avec précaution à travers les cendres brûlantes des bruyères vers Horsell. Il réussit à parvenir vivant jusqu’au fossé qui bordait la route, et put s’échapper ainsi jusqu’à Woking. — Ici son récit devint à chaque instant coupé d’exclamations. — L’endroit était inabordable. Fort peu de gens, semble-t-il, y étaient demeurés vivants, affolés pour la plupart et couverts de brûlures. L’incendie l’obligea à faire un détour et il se cacha parmi les décombres d’un mur calciné au moment où l’un des géants Marsiens revenait sur ses pas. Il le vit poursuivre un homme, l’enlever dans un de ses tentacules d’acier et lui briser la tête contre le tronc d’un sapin. Enfin, à la tombée de la nuit, l’artilleur risqua une course folle et arriva jusque sur les quais de la gare. Depuis ce moment, il avait avancé furtivement le long de la voie dans la direction de Maubury, dans l’espoir d’échapper au danger en se rapprochant de Londres. Beaucoup de gens étaient blottis dans des fossés et dans des caves, et le plus grand nombre des survivants s’étaient enfuis vers le village de Woking et vers Send, La soif le dévorait : enfin, près du pont du chemin de fer, il trouva une des grosses conduites crevée d’où l’eau jaillissait en bouillonnant sur la route, comme une source.

Tel est le récit que j’obtins de lui, fragment par fragment. Peu à peu, il s’était calmé en me racontant ces choses et en essayant de me dépeindre exactement les spectacles auxquels il avait assisté. Il n’avait rien mangé depuis midi, m’avait-il dit au début de son récit, et je trouvai à l’office un peu de pain et de mouton que j’apportai dans la salle à manger. Nous n’allumâmes pas de lampe, de crainte d’attirer les Marsiens et à chaque instant nos mains s’égaraient à la recherche du pain et de la viande. À mesure qu’il parlait, les objets autour de nous se dessinèrent obscurément dans les ténèbres et les arbustes écrasés et les rosiers brisés de l’autre côté de la fenêtre devinrent distincts. Il semblait qu’une troupe d’hommes ou d’animaux eût passé dans le jardin en saccageant tout. Je commençai à apercevoir sa figure, noircie et hagarde, comme aussi devait l’être la mienne.

Quand nous eûmes fini de manger, nous montâmes doucement jusqu’à mon cabinet et de nouveau j’observai ce qui se passait, par la fenêtre ouverte. En une seule soirée, la vallée avait été transformée en vallée de ruines. Les incendies avaient maintenant diminué ; des traînées de fumée remplaçaient les flammes, mais les ruines innombrables des maisons démolies et délabrées, des arbres abattus et consumés, que la nuit avait cachées, se détachaient maintenant dénudées et terribles dans l’impitoyable lumière de l’aurore. Pourtant, de place en place, quelque objet avait eu la chance d’échapper — ici, un signal blanc sur la voie du chemin de fer,