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chose d’assez semblable à la fièvre guerrière, qui, à l’occasion, s’empare de toute une communauté civilisée, me courait dans le sang et au fond je n’étais pas autrement fâché d’avoir à retourner à Maybury ce soir-là. Je craignais même que cette fusillade que j’avais entendue n’ait été le dernier signe de l’extermination des Marsiens. Je ne peux mieux exprimer mon état d’esprit qu’en disant que j’éprouvais l’irrésistible envie d’assister à la curée.

Il était presque onze heures quand je me mis en route. La nuit était exceptionnellement obscure ; sortant de l’antichambre éclairée, elle me parut même absolument noire et il faisait aussi chaud et aussi lourd que dans la journée. Au-dessus de ma tête, les nuages passaient rapides, encore qu’aucune brise n’agitât les arbustes d’alentour. Le domestique alluma les deux lanternes. Heureusement la route m’était très familière. Ma femme resta debout dans la clarté du seuil et me suivit du regard jusqu’à ce que je fusse installé dans le dogcart. Tout à coup elle rentra, laissant là mes cousins qui me souhaitaient bon retour.

Je me sentis d’abord quelque peu déprimé à la contagion des craintes de ma femme, mais très vite mes pensées revinrent aux Marsiens. À ce moment, j’étais absolument ignorant du résultat de la lutte de la soirée. Je ne savais même rien des circonstances qui avaient précipité le conflit. Comme je traversais Ockham — car au lieu de revenir par Send et Old Woking, j’avais pris cette autre route — je vis au bord de l’horizon, à l’ouest, des reflets d’un rouge-sang, qui, à mesure que j’approchais, montèrent lentement dans le ciel. Les nuages d’un orage menaçant s’amoncelaient et se mêlaient aux masses de fumée noire et rougeâtre.

La grand’rue de Ripley était déserte et à part une ou deux fenêtres éclairées, le village n’indiquait aucun autre signe de vie ; mais je faillis causer un accident au coin de la route de Pyrford où un groupe de gens se trouvait, me tournant le dos. Ils ne m’adressèrent pas la parole quand je passai et je ne pus par conséquent savoir s’ils connaissaient les évènements qui se produisaient au delà de la colline, si les maisons devant lesquelles je passais étaient désertées et vides, si des gens y dormaient tranquillement ou si, harassés, ils épiaient les terreurs de la nuit.

De Ripley jusqu’à Pyrford, il me fallait traverser un vallon du fond duquel je ne pouvais apercevoir les reflets de l’incendie. Comme j’arrivais au haut de la côte, après l’église de Pyrford, les lueurs reparurent et les arbres furent agités des premiers frémissements de l’orage. J’entendis alors minuit sonner derrière moi au clocher de Pyrford ; puis la silhouette des coteaux de Maybury, avec leurs cimes de toits et d’arbres, se détacha noire et nette contre le ciel rouge.

Au même moment, une sinistre lueur verdâtre éclaira la route devant moi, laissant voir dans la distance les bois d’Addlestone. Le cheval donna une secousse aux rênes. Je vis les nuages rapides percés, pour ainsi dire, par un ruban de flamme verte qui illumina soudain leur confusion et vint tomber au milieu des champs, à ma gauche. C’était le troisième projectile.

Immédiatement après sa chute et d’un violet aveuglant, par contraste, le premier