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À Londres, ce soir-là, le télégramme du malheureux Henderson, décrivant le dévissage graduel du projectile, fut reçu comme un canard et le journal du soir auquel il avait été adressé — ayant, sans obtenir de réponse, télégraphié pour une confirmation de la nouvelle — décida de ne pas lancer d’édition spéciale.

Même dans ce cercle fictif de cinq milles, la majorité des gens restaient indifférents. J’ai déjà décrit la conduite de ceux, hommes et femmes, auxquels je m’étais adressé. Dans tout le district, les gens dînaient et soupaient ; les ouvriers jardinaient après les travaux du jour ; on couchait les enfants ; les jeunes gens erraient amoureusement par les chemins et les savants compulsaient leurs livres.

Peut-être y avait-il dans les rues du village un murmure inaccoutumé ; un sujet de causerie nouveau et absorbant, dans les tavernes ; ici et là un messager, ou même un témoin des derniers incidents, occasionnait quelque agitation, des cris et des allées et venues. Mais presque partout sans exception, la routine quotidienne : travailler, manger, boire et dormir, continuait ainsi que depuis d’innombrables années — comme si nulle planète Mars n’eût existé dans les deux. Même à Woking, à Horsell et à Chobham, tel était le cas.

À la gare de Woking, jusqu’à une heure tardive, les trains s’arrêtaient et repartaient, d’autres se garaient sur les voies d’évitement, les voyageurs descendaient ou attendaient et toutes choses suivaient leur cours ordinaire. Un gamin de la ville, empiétant sur le monopole des bibliothèques de chemin de fer, vendait sur les quais des journaux renfermant les nouvelles de l’après-midi. Le vacarme des trucks, le sifflet aigu des locomotives, se mêlaient à ses cris de : « l’arrivée des habitants de Mars ». Des groupes agités envahirent la station vers neuf heures, racontant d’incroyables nouvelles et ne causèrent pas plus de trouble que des ivrognes n’auraient pu faire. Les gens en route vers Londres cherchaient, à travers les fenêtres des wagons, à apercevoir quelque chose dans les ténèbres du dehors et voyaient seulement de rares étincelles scintiller et s’élever en dansant dans la direction de Horsell, puis disparaître, une lueur rougeâtre et une mince traînée de fumée se promener contre l’écran du ciel, et ils en concluaient que rien n’arrivait de plus sérieux que quelque incendie dans les bruyères. Ce n’était que sur les confins de la lande qu’on pouvait voir réellement quelque désordre. Là, sur la lisière du côté de Woking, une douzaine de villas étaient en flammes. Des lumières restèrent allumées dans toutes les maisons des trois villages proches de la lande et les gens y veillèrent jusqu’à l’aurore.

Une foule curieuse s’attardait, incessamment renouvelée, à la fois sur le pont de Chobham et sur celui de Horsell. Une ou deux âmes aventureuses — ainsi qu’on s’en aperçut après — s’avancèrent à la faveur des ténèbres et se faufilèrent jusqu’auprès des Marsiens. Mais elles ne revinrent pas, car de temps en temps un rayon de lumière, semblable aux feux électriques d’un vaisseau de guerre, balayait la lande et le rayon brûlant le suivait immédiatement. À part cela, l’immense étendue demeura silencieuse et désolée, et les corps carbonisés y restèrent épars toute la nuit sous les étoiles et tout le