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VII

COMMENT JE RENTRAI CHEZ MOI

Pour ma part, je ne me rappelle rien de ma fuite, sinon des heurts violents contre des arbres et des culbutes dans la bruyère. Tout autour de moi s’assemblait la terreur invisible des Marsiens. Cette impitoyable épée ardente semblait tournoyer partout, brandie au-dessus de ma tête avant de s’abattre et de me frapper à mort. J’arrivai sur la route entre le carrefour et Horsell et je courus jusqu’au chemin de traverse.

À la fin, il me fut impossible d’avancer ; j’étais épuisé par la violence de mes émotions et l’élan de ma course, si bien que je chancelai et m’affaissai inanimé sur le bord du chemin. C’était au coin du pont qui traverse le canal près de l’usine à gaz.

Je dus rester ainsi pendant quelque temps. Puis je m’assis, étrangement perplexe. Pendant un bon moment je ne pus clairement me rappeler comment j’étais venu là. Ma terreur s’était détachée de moi comme un manteau. J’avais perdu mon chapeau et mon faux col était déboutonné. Quelques instants plus tôt, il n’y avait eu pour moi que trois choses réelles : — l’immensité de la nuit, de l’espace et de la nature — ma propre faiblesse et mon angoisse — et l’approche certaine de la mort. Maintenant, c’était comme si quelque chose s’était retourné, et le point de vue s’était changé brusquement. Il n’y avait, d’un état d’esprit à l’autre, aucune transition sensible. J’étais immédiatement redevenu le moi de chaque jour, l’ordinaire et convenable citoyen. La lande silencieuse, le motif de ma fuite, les flammes qui s’élevaient étaient comme un rêve. Je me demandais si toutes ces choses étaient vraiment arrivées. Je n’y pouvais croire.

Je me levai et d’un pas mal assuré je gravis la pente raide du pont. Mon esprit