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Je me trouvais sans famille et sans foyer, et ils furent très bons pour moi. J’étais seul et triste et ils me supportèrent avec indulgence. Je passai avec eux les quatre jours qui suivirent ma guérison. Pendant tout ce temps, je sentis un désir inexplicable et de plus en plus vif de revoir, une fois encore, ce qui restait de ma petite existence passée, qui avait paru si brillante et si heureuse. C’était un désir sans espoir, un besoin de me repaître de ma misère. Ils firent tout ce qu’ils purent pour me dissuader et me distraire de cette pensée morbide. Mais bientôt je ne pus résister plus longtemps à cette impulsion ; leur promettant de revenir fidèlement, et, je l’avoue, me séparant de ces amis de quatre jours avec des larmes dans les yeux, je m’aventurai derechef par les rues qui récemment avaient été si sombres, si insolites, si vides.

Déjà, elles étaient emplies de gens qui revenaient ; à certains endroits même, des boutiques étaient ouvertes et j’aperçus une fontaine wallace où coulait un filet d’eau.

Je me souviens combien ironiquement brillant le jour semblait, au moment où j’entreprenais ce mélancolique pèlerinage à la petite maison de Woking, combien étaient affairées les rues, et vivante l’animation qui m’entourait.

Partout les gens, innombrables, étaient dehors, empressés à mille occupations, et l’on ne pouvait croire qu’une grande partie de la population avait été massacrée. Mais je remarquai alors combien les faces des gens que je rencontrais étaient jaunes, combien longs et hérissés les cheveux des hommes, combien grands et brillants leurs yeux, tandis que la plupart étaient encore revêtus de leurs habits en haillons. Sur les figures, on ne voyait que deux expressions : une joie et une énergie exultante, ou une farouche résolution. À part l’expression des visages, Londres semblait une ville de mendiants et de chemineaux. En grande confusion, on distribuait partout le pain qu’on nous avait envoyé de France. Les rares chevaux qu’on rencontrait avaient les côtes horriblement apparentes. Des agents, spécialement engagés, l’air hagard, un insigne blanc au bras, se tenaient au coin des rues. Je ne vis pas grand’chose des méfaits des Marsiens avant d’arriver à Wellington Street, où l’Herbe Rouge grimpait par-dessus les piles et les arches du pont de Waterloo.

Au coin du pont, je rencontrai un des contrastes baroques, habituels en ces occasions. Un grand papier, fixé à une tige, s’étalait contre un fourré d’Herbe Rouge. C’était une affiche du premier journal qui ait repris sa publication ; j’en payai un exemplaire avec un shilling tout noirci, que je retrouvai dans une poche. La plus grande partie du journal était en blanc, mais le compositeur s’était amusé à remplir la dernière page avec une collection d’annonces fantaisistes. Le reste était une suite d’impressions et d’émotions personnelles rédigées à la hâte ; le service des nouvelles n’était pas encore réorganisé. Je n’appris rien de nouveau, sinon qu’en une seule semaine l’examen des mécanismes marsiens avait donné des résultats surprenants. Parmi d’autres choses, on affirmait — ce que je ne pus croire encore — qu’on avait découvert le « secret de voler ». À la gare de Waterloo, je trouvai