Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chacun un et son optimisme devint éblouissant. Il inclinait à considérer ma venue comme une merveilleuse bonne fortune.

— Il y a du champagne dans la cave voisine, dit-il.

— Nous travaillerons mieux avec ce bourgogne, répondis-je.

— Non, non, vous êtes mon hôte, aujourd’hui. Bon Dieu ! nous avons assez de besogne devant nous. Prenons un peu de repos, pour rassembler nos forces, pendant que c’est possible. Regardez-moi toutes ces ampoules !

Poursuivant son idée de s’accorder un peu de répit, il insista pour que nous fissions une partie de cartes. Il m’enseigna divers jeux et, après nous être partagé Londres, lui s’attribuant la rive droite, et moi gardant la rive gauche, nous prîmes chaque paroisse comme enjeu. Si bêtement ridicule que cela paraisse au lecteur de sens rassis, le fait est absolument exact, et, chose plus surprenante encore, c’est que je trouvai ce jeu, et plusieurs autres que nous jouâmes aussi, extrêmement intéressants.

Quel étrange esprit que celui de l’homme ! L’espèce entière était menacée d’extermination ou d’une épouvantable dégradation, nous n’avions devant nous d’autre claire perspective que celle d’une mort horrible, et nous pouvions, tranquillement assis à fumer et à boire, nous intéresser aux chances que représentaient ces bouts de carton peint, et plaisanter avec un réel plaisir. Ensuite il m’enseigna le poker et je lui gagnai tenacement trois longues parties d’échecs. Quand la nuit vint, nous étions si acharnés que nous nous risquâmes d’un commun accord à allumer une lampe.

Après une interminable série de parties, nous soupâmes et l’artilleur acheva le champagne. Nous ne cessions de fumer des cigares, mais rien ne restait de l’énergique régénérateur de la race humaine que j’avais écouté le matin de ce même jour. Il était encore optimiste, mais son optimisme était plus calme et plus réfléchi. Je me souviens qu’il proposa, dans un discours incohérent et peu varié, de boire à ma santé. Je pris un cigare et montai aux étages supérieurs, pour tâcher d’apercevoir les lueurs verdâtres dont il avait parlé.

Tout d’abord, mes regards errèrent à travers la vallée de Londres. Les collines du nord étaient enveloppées de ténèbres ; les flammes qui montaient de Kensington rougeoyaient et, de temps à autre, une langue de flamme jaunâtre s’élançait et s’évanouissait dans la profonde nuit bleue. Tout le reste de l’immense ville était obscur. Alors, plus près de moi, j’aperçus une étrange clarté, une sorte de fluorescence, d’un pâle violet pourpre, que la brise nocturne faisait frissonner. Pendant un