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yeux dans des orbites très dures. Les Marsiens devaient en avoir apporté deux ou trois dans chacun de leurs cylindres, et tous avaient été tués avant d’atteindre la terre. Cela valut aussi bien pour eux car le simple effort de vouloir se mettre debout sur le sol de notre planète aurait sans doute brisé tous les os de leurs corps.

Puisque j’ai entamé cette description, je puis donner ici certains autres détails qui, encore que nous les ayons remarqués par la suite seulement, permettront au lecteur qui les connaîtrait mal de se faire une idée plus claire de ces désagréables envahisseurs.

En trois autres points, leur physiologie différait étrangement de la nôtre. Leurs organismes ne dormaient jamais, pas plus que ne dort le cœur de l’homme. Puisqu’ils n’avaient aucun vaste mécanisme musculaire à récupérer, ils ignoraient le périodique retour du sommeil. Ils ne devaient ressentir, semble-t-il, que peu ou pas de fatigue. Sur la terre, ils ne purent jamais se mouvoir sans de grands efforts et cependant ils conservèrent jusqu’au bout leur activité. En vingt-quatre heures, ils fournissaient vingt-quatre heures de travail, comme c’est peut-être le cas ici-bas avec les fourmis.

D’autre part, si étonnant que cela paraisse dans un monde sexué, les Marsiens étaient absolument dénués de sexe et devaient ignorer, par conséquent, les émotions tumultueuses que fait naître cette différence entre les humains. Un jeune Marsien, le fait est indiscutable, naquit réellement ici-bas pendant la durée de la guerre ; on le trouva attaché à son parent, à son progéniteur, partiellement retenu à lui, à la façon dont poussent les bulbes de lis ou les jeunes animalcules des polypiers d’eau douce.

Chez l’homme, chez tous les animaux d’un ordre élevé, une telle méthode de génération a disparu ; mais ce fut certainement, même ici-bas, la méthode primitive. Parmi les animaux d’ordre inférieur, à partir même des Tuniciers, ces premiers cousins des vertébrés, les deux procédés coexistent, mais généralement la méthode sexuelle l’emporte sur l’autre. Pourtant sur la planète Mars, le contraire apparemment se produit.

Il est intéressant de faire remarquer qu’un certain auteur, d’une réputation quasi-scientifique, écrivant longtemps avant l’invasion marsienne, prévit pour l’homme une structure finale qui ne différait pas grandement de la condition véritable des Marsiens. Je me souviens que sa prophétie parut, en novembre ou en décembre 1892, dans une publication depuis longtemps défunte, la « Pall Mall Budget », et je me rappelle à ce propos une caricature, publiée dans un périodique comique de l’époque anté-marsienne : « Punch ». L’auteur expliquait, sur un ton presque facétieux, que le perfectionnement incessant des appareils mécaniques devait finalement amener la disparition des membres, comment la perfection des inventions chimiques devait supprimer la digestion, comment des organes tels que la chevelure, la partie externe du nez, les dents, les oreilles, le menton, ne seraient bientôt plus des parties essentielles