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Je me rappelle les illustrations de l’une des premières brochures qui prétendaient donner un récit complet de la guerre. Évidemment, l’artiste n’avait fait qu’une étude hâtive des machines de combat et à cela se bornait sa connaissance de la mécanique marsienne. Il avait représenté des tripodes raides, sans aucune flexibilité ni souplesse, avec une monotonie d’effet absolument trompeuse. La brochure qui contenait ces renseignements eut une vogue considérable et je ne la mentionne ici que pour mettre le lecteur en garde contre l’impression qu’il en peut garder. Tout cela ne ressemblait pas plus aux Marsiens que je vis à l’œuvre qu’un poupard de carton ne ressemble à un être humain. À mon avis, la brochure, eût été bien meilleure sans ces illustrations.

D’abord, ai-je dit, la Machine à Mains ne me donna pas l’impression d’un mécanisme, mais plutôt d’une créature assez semblable à un crabe, avec un tégument étincelant, qui était le Marsien, actionnant et contrôlant les mouvements de ses membres multiples au moyen de ses délicats tentacules, et semblant être, simplement, l’équivalent de la partie cérébrale du crabe. Je perçus alors la ressemblance de son tégument gris-brun, brillant, ayant l’aspect du cuir, avec celui des autres corps rampants environnants et la véritable nature de cet adroit ouvrier m’apparut sous son vrai jour. Après cette découverte, mon intérêt se porta vers les autres créatures, — les Marsiens réels. J’avais eu d’eux, déjà, une impression passagère, et la nausée que j’avais ressentie alors ne revint pas troubler mon observation. D’ailleurs, j’étais bien caché et immobile, sans aucune nécessité de bouger.

Je voyais maintenant que c’étaient les créatures les moins terrestres qu’il soit possible de concevoir. Ils étaient formés d’un grand corps rond, ou plutôt d’une grande tête ronde d’environ quatre pieds de diamètre et pourvue d’une figure. Cette face n’avait pas de narines — à vrai dire les Marsiens ne semblent pas avoir été doués de l’odorat — mais possédait deux grands yeux sombres, immédiatement au-dessous desquels se trouvait une sorte de bec cartilagineux. Derrière cette tête ou ce corps — car je ne sais vraiment lequel de ces deux termes employer — était une seule surface tympanique tendue, qu’on a su depuis être anatomiquement une oreille, encore qu’elle dût leur être presque entièrement inutile dans notre atmosphère trop dense. En groupe autour de la bouche, seize tentacules minces, presque des lanières, étaient disposés en deux faisceaux de huit chacun. Depuis lors, avec assez de justesse, le professeur Stowes, le distingué anatomiste, a nommé ces deux faisceaux des « mains ». La première fois, même, que j’aperçus les Marsiens, ils paraissaient s’efforcer de se soulever sur ces mains, mais cela leur était naturellement impossible à cause de l’accroissement de poids dû aux conditions terrestres. On peut avec raison supposer que, dans la planète Mars, ils se meuvent sur ces mains avec facilité.