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d’eau et de vapeur fut lancée à une hauteur énorme dans l’air. L’artillerie du « Fulgurant » résonna à travers le tumulte, les pièces tirant l’une après l’autre ; un projectile fit éclabousser l’eau non loin du steamer, ricocha vers les navires qui fuyaient vers le nord et une barque fut fracassée en mille morceaux.

Mais nul n’y prit garde. En voyant s’écrouler le Marsien, le capitaine vociféra des hurlements inarticulés et la foule des passagers, sur l’arrière du steamer, poussa un même cri. Un instant après, une autre acclamation leur échappait, car, surgissant par delà le tumulte blanchâtre, le cuirassé long et noir s’avançait, des flammes s’élançaient de ses parties moyennes, ses ventilateurs et ses cheminées crachaient du feu.

« Le Fulgurant » n’avait pas été détruit : le gouvernail, semblait-il, était intact et ses machines fonctionnaient. Il allait droit sur un second Marsien et se trouvait à moins de cent mètres de lui quand le Rayon Ardent l’atteignit. Alors, avec une violente détonation et une flamme aveuglante, ses tourelles, ses cheminées sautèrent. La violence de l’explosion fit chanceler le Marsien, et au même instant, l’épave enflammée, lancée par l’impulsion de sa propre vitesse, le frappait et le démolissait comme un objet de carton. Mon frère poussa un cri involontaire. De nouveau, ce ne fut plus qu’un tumulte bouillonnant de vapeur.

— Deux ! hurla le capitaine.

Tout le monde poussait des acclamations. Le steamer entier d’un bout à l’autre trépidait de cette joie frénétique qui gagna, un à un, les innombrables navires et embarcations qui s’en allaient vers la pleine mer.

Pendant plusieurs minutes, la vapeur qui s’élevait au-dessus de l’eau cacha à la fois le troisième Marsien et la côte.

Les aubes du bateau n’avaient cessé de frapper régulièrement les vagues, s’éloignant du lieu du combat ; quand enfin cette confusion se dissipa, un nuage traînant de Fumée Noire s’interposa, et on ne distingua plus rien du « Fulgurant » ni du troisième Marsien. Mais les autres cuirassés étaient tout près maintenant, se dirigeant vers le rivage.

Le petit vaisseau continua sa route vers la pleine mer, et lentement les cuirassés disparurent vers la côte, que cachait encore un nuage marbré de brouillard opaque fait en partie de vapeur et en partie de Fumée Noire, tourbillonnant et se combinant de la plus étrange manière. La flotte des fuyards s’éparpillait vers le Nord-Est ; plusieurs barques, toutes voiles dehors, cinglaient entre les cuirassés et le steamboat. Au bout d’un instant et avant qu’ils n’eussent atteint l’épais nuage noir, les bâtiments de guerre prirent la direction du nord, puis brusquement virèrent de bord et disparurent vers le Sud dans la brume du soir qui tombait. Les côtes devinrent indécises, puis indistinctes, parmi les bandes basses de nuages qui se rassemblaient autour du soleil couchant.

Soudain, hors de la brume dorée du crépuscule, parvint l’écho des détonations d’artillerie, et des formes se dessinèrent, d’ombres noires qui bougeaient. Tout le monde voulut s’approcher des lisses d’appui, afin d’apercevoir ce qui se passait