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destruction des poudrières de Waltham Abbey, après une tentative vaine de faire sauter l’un des envahisseurs.

On avait posté des hommes dans les tours de l’église pour épier la venue des Marsiens ; mon frère, très heureusement, comme la suite le prouva, préféra pousser immédiatement vers la côte plutôt que d’attendre une problématique nourriture, bien que tous trois fussent fort affamés. Vers midi, ils traversèrent Tillingham qui, assez étrangement, parut être désert et silencieux, à part quelques pillards furtifs en quête de nourriture. Passé Tillingham, ils se trouvèrent soudain en vue de la mer, et de la plus surprenante multitude de bateaux de toute sorte qu’il soit possible d’imaginer.

Car, dès qu’ils ne purent plus remonter la Tamise, les navires s’approchèrent des côtes d’Essex, à Harwich, à Walton, à Clacton, et ensuite à Foulness et à Shoebury, pour faire embarquer les gens. Tous ces vaisseaux étaient disposés en une courbe aux pointes rapprochées qui se perdaient dans le brouillard, vers le Naze. Tout près du rivage pullulait une multitude de barques de pêche de toutes nationalités, anglaises, écossaises, françaises, hollandaises, suédoises, des chaloupes à vapeur de la Tamise, des yachts, des bateaux électriques ; plus loin des vaisseaux de plus fort tonnage, d’innombrables bateaux à charbon, de coquets navires marchands, des transports à bestiaux, des paquebots, des transports à pétrole, des coureurs d’océan et même un vieux bâtiment tout blanc, des transatlantiques nets et grisâtres de Southampton et de Hambourg, et tout au long de la côte bleue, de l’autre côté du canal de Blackwater, mon frère put apercevoir vaguement une multitude dense d’embarcations trafiquant avec les gens du rivage et s’étendant jusqu’à Maldon.

À une couple de milles en mer se trouvait un cuirassé très bas sur l’eau, semblable presque, suivant l’expression de mon frère, à une épave à demi submergée. C’était le cuirassé « le Fulgurant », le seul bâtiment de guerre en vue ; mais tout au loin, vers la droite, sur la surface plane de la mer, car c’était jour de calme plat, s’étendait une sorte de serpent de fumée noire, indiquant les cuirassés de l’escadre de la Manche, qui se tenaient sous vapeur en une longue ligne, prêts à l’action, barrant l’estuaire de la Tamise, pendant toute la durée de la conquête marsienne, vigilants, et cependant impuissants à rien empêcher.

À la vue de la mer, Miss Elphinstone, malgré les assurances de sa belle-sœur, s’abandonna au désespoir. Elle n’avait encore jamais quitté l’Angleterre ; elle disait qu’elle aimerait mieux mourir plutôt que de se voir seule et sans amis dans un pays étranger, et autres sornettes de ce genre. La pauvre femme semblait s’imaginer que les Français et les Marsiens étaient de, la même espèce. Pendant le voyage des deux derniers jours, elle était devenue de plus en plus nerveuse, apeurée et déprimée. Sa seule idée était de retourner à Stanmore. Il ne s’était jamais produit de tout cela à Stanmore. On retrouverait George à Stanmore…