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étendu à terre, et mon frère, qui le perdit de vue, fut entraîné dans le courant, au delà de l’entrée du chemin et dut se débattre de toutes ses forces pour revenir. Il vit Miss Elphinstone se couvrant les yeux de sa main, et un enfant, avec tout le manque de sympathie ordinaire à cet âge, contemplant avec des yeux dilatés un objet poussiéreux, noirâtre et immobile, écrasé et broyé sous les roues.

— Allons-nous-en ! s’écria-t-il. Nous ne pouvons traverser cet enfer ! et il se mit en devoir de faire tourner la voiture. Ils s’éloignèrent d’une centaine de mètres dans la direction d’où ils étaient venus. Au tournant du chemin, dans le fossé, sous les troënes, le moribond gisait affreusement pâle, la figure couverte de sueur, les traits tirés. Les deux femmes restaient silencieuses, blotties sur le siège et frissonnantes. Peu après, mon frère s’arrêta de nouveau. Miss Elphinstone était blême et sa belle-sœur, effondrée, pleurait, dans un état trop pitoyable pour réclamer son George. Mon frère était épouvanté et fort perplexe. À peine avaient-ils commencé leur retraite qu’il se rendit compte combien il était urgent et indispensable de traverser le torrent des fuyards. Soudainement résolu, il se tourna vers Miss Elphinstone.

— Il faut absolument passer par là, dit-il. Et il fit de nouveau retourner le poney.

Pour la seconde fois, ce jour-là, la jeune fille fit preuve d’un grand courage. Pour s’ouvrir un passage, mon frère se jeta en plein dans le torrent, maintint en arrière le cheval d’un cab, tandis qu’elle menait le poney par la bride. Un chariot les accrocha un moment, et arracha un long éclat de bois à leur chaise. Au même instant, ils furent pris et entraînés en avant par le courant. Mon frère, la figure et les mains rouges des coups de fouet du cocher, sauta dans la chaise et prit les rênes.

— Braquez le revolver sur celui qui nous suit, s’il nous presse de trop près — non — sur son cheval plutôt, dit-il, en passant l’arme à la jeune fille.

Alors il attendit l’occasion de gagner le côté droit de la route. Mais une fois dans le courant, il sembla perdre toute volonté et faire partie de cette cohue poussiéreuse. Pris dans le torrent, ils traversèrent Chipping Barnet et ils firent un mille de l’autre côté de la ville, avant d’avoir pu se frayer un passage jusqu’au bord opposé de la route. C’était un fracas et une confusion indescriptibles. Mais dans la ville et au dehors, la route se bifurquait fréquemment, ce qui, en une certaine mesure, diminua la poussée.

Ils prirent un chemin vers l’est à travers Hadley et de chaque côté de la route, en plusieurs endroits, ils trouvèrent une multitude de gens buvant dans les ruisseaux, et quelques-uns se battaient pour approcher plus vite. Plus loin, du haut d’une colline, près de East Barnet, ils aperçurent deux trains avançant lentement, l’un suivant l’autre, sans signaux, montant vers le nord, fourmillant de gens juchés