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Marsiens et de leurs agissements. Le soleil montait peu à peu dans le ciel ; au bout d’un instant leur conversation cessa ; une sorte de malaise les envahit et ils furent tourmentés de pressentiments funestes. Plusieurs voyageurs passèrent, desquels mon frère obtint toutes les nouvelles qu’ils purent donner. Les phrases entrecoupées qu’on lui répondait augmentaient son impression d’un grand désastre survenant à l’humanité, et enracinèrent sa conviction de l’immédiate nécessité de poursuivre leur fuite. Il insista vivement auprès de ses compagnes sur cette nécessité.

— Nous avons de l’argent, commença la jeune femme ; — elle s’arrêta court. Ses yeux rencontrèrent ceux de mon frère et son hésitation cessa.

— J’en ai aussi, ajouta-t-il.

Elles expliquèrent qu’elles possédaient trente souverains d’or, sans compter une banknote de cinq livres, et elles émirent l’idée qu’avec cela on pouvait prendre un train à St Albans ou à New Barnet.

Mon frère leur expliqua que la chose était fort vraisemblablement impossible, parce que les Londoniens avaient déjà envahi tous les trains, et il leur fit part de son idée de s’avancer, à travers le comté d’Essex, du côté d’Harwich, pour, de là, quitter tout à fait le pays.

Miss Elphinstone — tel était le nom de la dame en blanc — ne voulut pas entendre parler de cela et s’obstina à réclamer son George ; mais sa belle-sœur, étonnamment calme et réfléchie, se rangea finalement à l’avis de mon frère. Ils se dirigèrent ainsi vers Barnet, dans l’intention de traverser la grande route du Nord, mon frère conduisant le poney à la main pour le ménager autant que possible.

À mesure que les heures passaient, la chaleur devenait excessive ; sous les pieds, un sable épais et blanchâtre brûlait et aveuglait, de sorte qu’ils n’avançaient que très lentement. Les haies étaient grises de poussière et, comme ils approchaient de Barnet, un murmure tumultueux s’entendit de plus en plus distinctement.

Ils commencèrent à rencontrer plus fréquemment des gens qui, pour la plupart, marchaient les yeux fixes, en murmurant de vagues questions, excédés de fatigue et les vêtements sales et en désordre. Un homme en habit de soirée passa près d’eux, à pied, les yeux vers le sol. Ils l’entendirent venir, parlant seul, et, s’étant retournés, ils l’aperçurent, une main crispée dans ses cheveux et autre menaçant d’invisibles ennemis. Son accès de fureur passé, il continua sa route sans lever la tête.

Comme la petite troupe que menait mon frère approchait du carrefour avant d’entrer à Barnet, ils virent s’avancer sur la gauche, à travers champs, une femme ayant un enfant sur les bras et deux autres pendus à ses jupes ; puis un homme passa, vêtu d’habits noirs et sales, un gros bâton dans une main, une petite malle dans l’autre. Au coin du chemin, à l’endroit où, entre des villas, il rejoignait la grande route, parut une petite voiture traînée par un poney noir écumant, que