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lentement et sûrement leurs plans pour la conquête de notre monde. Et dans les premières années du vingtième siècle vint la grande désillusion.

La planète Mars, est-il besoin de le rappeler au lecteur, tourne autour du soleil à une distance moyenne de deux cent vingt-cinq millions de kilomètres, et la lumière et la chaleur qu’elle reçoit du soleil sont tout juste la moitié de ce que reçoit notre sphère. Si l’hypothèse des nébuleuses a quelque vérité, la planète Mars doit être plus vieille que la nôtre, et longtemps avant que cette terre se soit solidifiée, la vie à sa surface dut commencer son cours. Le fait que son volume est à peine un septième de celui de la terre doit avoir accéléré son refroidissement jusqu’à la température où la vie peut naître. Elle a de l’air et de l’eau et tout ce qui est nécessaire aux existences animées.

Pourtant l’homme est si vain et si aveuglé par sa vanité que jusqu’à la fin même du dix-neuvième siècle, aucun écrivain n’exprima l’idée que là-bas la vie intelligente, s’il en était une, avait pu se développer bien au delà des proportions humaines. Peu de gens même savaient que, puisque Mars est plus vieux que notre terre, avec à peine un quart de sa superficie et à une plus grande distance du soleil, il s’ensuit naturellement que cette planète est non seulement plus éloignée du commencement de la vie, mais aussi plus près de sa fin.

Le refroidissement séculaire qui doit quelque jour atteindre notre planète est déjà fort avancé chez notre voisin. Ses conditions physiques sont encore largement un mystère ; mais dès maintenant nous savons que, même dans sa région équatoriale, la température de midi atteint à peine celle de nos plus froids hivers. Son atmosphère est plus atténuée que la nôtre, ses océans se sont resserrés jusqu’à ne plus couvrir qu’un tiers de sa surface et, suivant le cours de ses lentes saisons, de vastes amas de glace et de neige s’amoncellent et fondent à chacun de ses pôles, inondant périodiquement ses zones tempérées. Ce suprême état d’épuisement, qui est encore pour nous incroyablement lointain, est devenu pour les habitants de Mars un problème vital. La pression immédiate de la nécessité a stimulé leurs intelligences, développé leurs facultés et endurci leurs cœurs. Regardant à travers l’espace au moyen d’instruments et avec des intelligences tels que nous pouvons à peine les rêver, ils voient à sa plus proche distance, à cinquante-cinq millions de kilomètres d’eux vers le soleil, un matinal astre d’espoir, notre propre planète, plus chaude, aux végétations vertes et aux eaux grises, avec une atmosphère nuageuse éloquente de fertilité, et, à travers les déchirures de ses nuages, des aperçus de vastes contrées populeuses et de mers étroites sillonnées de navires.

Nous, les hommes, créatures qui habitons cette terre, nous devons être, pour eux du moins, aussi étrangers et misérables que le sont pour nous les singes et les lémuriens. Déjà, la partie intellectuelle de l’humanité admet que la vie est une incessante lutte pour l’existence et il semble que ce soit aussi la croyance des esprits dans Mars. Leur monde est très avancé vers son refroidissement, et ce monde-ci est encore encombré de vie, mais encombré seulement de ce qu’ils considèrent, eux, comme des

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