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PREMIÈRE ÉPOQUE

avaient « un breuvage fait avec de l’orge, et converti, par la corruption (fermentation), en une espèce de vin : ex hordeo factus et in quamdam similitudinem vini corruptus) (1[1]) ; » ce qui montre que la bière des Germains était une liqueur fermenté comme le vin, et qui devait être en effet semblable à notre bière. L’emploi du houblon dans la préparation de la bière est d’une date récente ; aussi les bières des anciens devaient-elles facilement tournera l’aigre ou éprouver la fermentation acide.

Les anciens ignoraient sans doute que dans le suc exprimé des raisins, de même que dans le moût de bière (2[2]), la matière sucrée se transforme en alcool sous l’influence du ferment. Mais ils savaient fort bien que le moût perd au bout de quelque temps sa saveur sucrée, et qu’il acquiert la propriété d’enivrer. S’ils ignoraient l’eau-de-vie pure, ils connaissaient des liqueurs qui en contenaient : la découverte de l’esprit-de-vin coïncide avec celle de la distillation.

La connaissance du vin et de la bière implique celle du vinaigre ; car ces liqueurs, exposées au contact de l’air et dans les conditions atmosphériques ordinaires, s’acidifient naturellement, en donnant naissance, par suite de l’oxydation de l’alcool, à l’acide acétique. Les anciens connaissaient le vinaigre, mais ils ignoraient la cause qui le produit. Le vinaigre (vinum acidum, d’où acetum) ne servait pas seulement à assaisonner des légumes (3[3]) ; mais, délayé dans de l’eau, il était employé comme boisson (4[4]). Chez les thalmudistes, le vin et le vinaigre sont souvent pris l’un pour l’autre, et c’est dans ce sens qu’il faut entendre ce passage de l’Évangile : « Ils lui donnèrent à boire du vinaigre (ὄξος) mêlé de bile. (5[5]) »

Il est à remarquer qu’ici, comme dans beaucoup d’autres cas, le nom donne, en quelque sorte, la raison même de la chose.

  1. Tacite, de Moribus Germanorum.
  2. Les Grecs appelaient la bière οῑνς χρίθινσς, vin d’orge. Il en est souvent question dans les œuvres de Xenophon
  3. Ruth. II, 14.
  4. Nombres, VI, 3.
  5. Saint Mathieu, XXVII, 34. Ce qui prouve que le mot ὄξος signifie οῑνς, vin, c’est que saint Marc (XV, 23), rapportant le même fait de la Passion, emploie le mot οἱνς : χαὶ ἐδίδουν αὐτῷ πιεῖν ἐσμυρνισμένον οἶνον. On remarquera en même temps que le mot ἐσμυρνισμἐνον, aromatisé de myrrhe (aromate très-amer), remplace, dans saint Marc, les mots μετὰ χολῆς μεμιγμένον, mêlé de bile, de saint Mathieu.