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moyen de résumer la science acquise et de faire de nouvelles découvertes. Mais à mesure que la séparation tranchée des vérités a priori et des vérités de fait lui semble plus évidente, il restreint son Ars combinatoria ou sa Characteristica universalis au domaine des vérités premières. Malgré bien des velléités, le plan ne fut jamais mis à exécution, ce qui tient essentiellement sans doute à ce qu’il reconnut peu à peu qu’une langue universelle de signes suppose déjà à vrai dire la perfection de notre connaissance. Toutefois le projet est bien caractéristique de la philosophie dogmatique.

d) Théodicée.

Comme penseur, Leibniz avait la tâche de dépasser, sans en interrompre la suite, la conception mécanique de la nature. La voie qu’il suivit, ce fut d’essayer de montrer que les forces qui agissent dans le mécanisme sont déterminées par la finalité, en sorte que toute la gradation des causes et des effets mécaniques considérée intérieurement devient une gradation de moyens et de fins. Le fond intime du monde est en chaque point une tendance, un développement, un progrès. Grâce à cette pensée, qui mettait en harmonie non seulement le mécanisme et la téléologie, mais encore les états des différentes monades ainsi que l’âme et le corps, il croyait en même temps avoir un moyen de concilier la religion (tant la religion positive que la religion « naturelle ») avec la raison. Il était convaincu que sa philosophie satisfaisait aux exigences que pouvait poser l’orthodoxie la plus rigoureuse. Mais le problème religieux se trouvait justement alors précisé par un écrivain contemporain pour qui Leibniz avait la plus grande estime. Pierre Bayle prétendait, ainsi que nous l’avons mentionné en son temps, qu’il existe une discordance entre la religion et la raison et il trouvait notamment les dogmes de la religion positive contraires à la raison. Pour cela il s’appuyait surtout sur le problème du mal et trouvait que la théorie manichéenne, selon laquelle il y a deux principes dans le monde, s’accordait bien mieux avec l’expérience que la théorie orthodoxe, à laquelle il se soumettait néanmoins dans son obéissance de croyant. La reine de Prusse, l’élève si intelligente de Leibniz, se sentait fortement touchée par les objections de Bayle