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contre Descartes. Cela est contredit par le premier ouvrage que nous avions de la main de Spinoza, et où il critique le Cartésianisme en quelques points essentiels. Spinoza n’a jamais été Cartésien ; mais il a beaucoup appris de Descartes ; il a utilisé plusieurs de ses idées, de même qu’il a employé en partie sa terminologie. Mais pendant cette période de transition, alors que son propre système ne s’était pas encore dessiné à ses yeux en lignes bien arrêtées, il a dû également étudier les auteurs scolastiques récents qui dominaient alors l’enseignement de la philosophie en Allemagne et aux Pays-Bas avant le triomphe de la philosophie de Bacon et de Descartes. Quantité d’expressions et de propositions contenues dans les œuvres postérieures de Spinoza ainsi que dans ses premières œuvres révèlent cette influence scolastique, Spinoza renvoie même en plusieurs passages aux Scolastiques. En rapprochant tout cela, on voit que pendant son évolution philosophique Spinoza a parcouru des horizons très vastes et très différents et une littérature qui n’est certes pas insignifiante. Malgré toute la fermeté et la netteté de lignes avec laquelle son chef-d’œuvre s’impose à nous, ses racines n’en plongent pas moins en une multitude de sens dans le sol de la tradition philosophique57. Mais cela ne retranche rien à son originalité : plus que tout autre, c’est un signe distinctif du génie que de pouvoir assimiler et remanier. La valeur singulière et l’originalité d’un édifice ne souffrent pas de ce que les pierres ont été prises en une foule de lieux.

Sous l’influence de tous ces motifs intellectuels qui affluaient sur lui de toute part, Spinoza s’éloignait de plus en plus de la synagogue dans ses manières de voir. On prévoyait son apostasie évidente et — pour l’empêcher — on chercha à le retenir en lui offrant un traitement annuel. Mais ni cette offrande, ni la tentative d’assassinat faite par un fanatique ne purent l’empêcher de poursuivre la marche de sa pensée. Alors il fut exclu solennellement de la communauté juive (1656). On obtint même — le clergé protestant le tenant aussi pour un homme dangereux — son expulsion temporaire d’Amsterdam. Il élut provisoirement domicile chez un ami qui demeurait à la campagne dans les environs de cette ville. Il gagnait sa vie en taillant des verres d’optique, art qu’il devait à son éducation