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une série de vertus naturelles, la sagesse, la justice, le courage et la maîtrise de soi-même. Mais alors qu’elles formaient pour les Grecs toute la vertu, il leur superpose les trois vertus « théologales » : la foi, l’espérance et l’amour, qui naissent seulement de façon surnaturelle. Le développement est donc interrompu, et Thomas d’Aquin ne se donne même pas la peine de rechercher si les formes de volonté comprises sous ces vertus théologales ne pourraient pas non plus très bien trouver place dans les vertus « naturelles », en tant que formes particulières de celles-ci. — Pour l’ensemble de la conception du monde, l’idée du développement naturel offrait un contraste saillant avec le dogme de la création et l’hypothèse d’une intervention miraculeuse. À l’analyse exacte, le dualisme apparaît au jour en tous points. Mais la pensée du Moyen Âge était obligée d’empêcher cette analyse exacte. La pensée devait concorder avec l’enseignement de l’Église. Il ne pouvait y avoir de pensée ni de système du monde en dehors de la théologie. Comme on avait la conviction que la philosophie d’Aristote se prêtait très bien à représenter la science naturelle dans l’édification du système scolastique, on considérait une déviation d’Aristote, notons bien, d’Aristote, tel qu’on le connaissait et le comprenait au Moyen Âge, comme une hérésie. En d’autres termes : on entravait à dessein l’investigation et la réflexion pour empêcher l’édifice d’être ébranlé. La philosophie d’Aristote, qui représentait en son temps un progrès si considérable, devenait immuablement valable pour tous les temps. Ce n’est pas pour la théorie de la vie organique et psychique que le dommage était le plus grand, car dans ces domaines résidait le mérite propre d’Aristote, déjà de son vivant. Mais on empêchait le développement de sciences naturelles exactes, capables d’expliquer par quels processus élémentaires et conformément à quelles lois générales se faisait le développement des formes admis par Aristote. L’inconvénient de la philosophie d’Aristote était de considérer la croissance organique comme le type immuable de tout ce qui se passe dans la nature. Voilà pourquoi elle pouvait à la rigueur donner une description des formes et des qualités, mais non fournir une explication réelle de leur formation. La conception mécanique de la nature,